Première
interview avant la
mise en vente des places pour les concerts au Stade de France de 2009. Cinq
photos inédites de Claude Gassian.
Pourquoi
remonter sur scène trois ans après vos derniers
concerts à Bercy ? Parce
que je
m'ennuie! J'ai besoin de réinventer ma vie... Pascal a dit:
"Rien n'est si insupportable à l'homme que d'être
dans un plein repos, sans divertissements, sans passions, sans
affaires..." Ma raison de vivre est mon métier, le
spectacle, le partage. J'ai un tel souvenir de ma dernière
apparition à Bercy... Je veux retrouver ce vertige au Stade
de France et dans toutes les salles de province.
Est-ce une tournée d'adieux ? Je
ne sais pas!
Même si c'est ma raison de vivre, à chaque
tournée, j'ai le sentiment profond et sincère de
faire mes adieux! L'idée de m'exhiber représente
un tel effort qu'il m'est impossible de planifier l'envie de refaire
une scène après une tournée. Mais par
respect pour le public je n'utiliserai jamais cela comme un argument
promotionnel.
La plupart des chanteurs reviennent à
des salles plus
intimistes. Vous, vous faites la démarche inverse... J'aime
l'idée de démesure...Même si je reste
quelqu'un de pudique, d'humble j'espère! Mais j'ai besoin de
l'immense, c'est enivrant. Je ne pense pas que le sentiment de
proximité avec le public réside dans la dimension
d'une salle. Une émotion reste une émotion, le
don de soi reste le même, le désir et la magie
sont intacts.
Est-ce un hasard si vous avez choisi la date du 12
septembre, jour de
votre anniversaire ? C'est
un pur
hasard. Il y a longtemps que je ne fête plus mon
anniversaire. L'idée de réunir des personnes pour
le célébrer me tétanise! Je devine
votre sourire... Quelques dizaines de milliers de personnes - tout au
moins je l'espère! - seront présentes au Stade de
France... C'est tout mon paradoxe. Mais c'est la
vérité, quand je me suis enfin
décidée, la seule date disponible
était le 12 septembre, un samedi! Je prends cela comme un
incroyable cadeau de la vie.
Comment allez-vous construire votre spectacle dans
les dix-huit mois
qui viennent ? La
toute
première réunion aura lieu dans un mois environ.
Il s'agit pour Laurent Boutonnat, Thierry Suc et moi-même de
pourvoir les postes clés, le décorateur, le
directeur de production... Quelques idées sont
déjà présentes, mais c'est souvent
à l'issue de ces réunions que l'on
évoque tous les possibles, le déraisonnable
aussi! Puis il faut penser aux costumes, à la
lumière, au son, aux musiciens, aux danseurs... Se
préparer physiquement...
En 2006, vous avez chanté 13 fois
à Bercy et
attiré 170 000 spectateurs. Est-ce l'assurance que vous
allez remplir le Stade de France sans difficulté ? Bien
sûr que non! La scène n'est ni une science ni une
affaire de mathématiques. J'ai longtemps
hésité... Quelques personnes bienveillantes de
mon entourage m'ont encouragée. Je ne vous cache pas que
depuis mon "oui" j'ai le coeur dans la gorge... Vous
n'avez pas fait de tournée en France depuis dix ans,
allez-vous enfin réparer cet oubli ? Il
ne s'agissait
pas d'un oubli mais d'un choix, certes difficile à faire.
J'avais l'opportunité, en restant à Paris,
d'offrir quelque chose d'unique, un spectacle "intransportable". Aucune
salle en France ne pouvait contenir la structure scénique
construite à Bercy en 2006. Mais je peux d'ores et
déjà vous dire qu'une tournée est en
cours de préparation et que je monterai sur la
scène du Stade de Genève le 4 septembre
2009. Et j'en suis très très heureuse. On annonce un nouvel album. Quelle en
sera la couleur ? Si je le compare
avec l'album
précédent Avant que l'ombre...,
il sera sans
doute plus électronique... Avec de nombreux titres "up
tempo"... Depuis plus de vingt ans, vous avez
construit votre carrière
sur le silence, voire le mystère. Stratégie ou
timidité ? Ma
nature
profonde est la réserve. J'ai une véritable
aversion quand il s'agit de parler de moi... Vous savez, si on y
réfléchit, les conséquences de ce
silence dont vous parlez sont ou auraient pu être un handicap
à toute idée de succès. J'ai pris ce
risque parce que je n'avais pas le choix, c'est tout! Même si
ce n'est pas l'avis de certains qui pensent en savoir plus sur
moi-même, le mot "carrière" ne fait pas partie de
mon vocabulaire. Je suis plutôt instinctive. La vie des
autres m'intéresse beaucoup plus que la mienne. Je me confie
peu... Comprenez-vous que ce silence soit
parfois
interprété comme de l'indifférence
vis-à-vis de vos fans ? J'entretiens
avec
le public un rapport d'exigence. Je lui demande beaucoup et il me
demande beaucoup. Cette relation exige la
sincérité. C'est un peu comme un ami à
qui vous ne donneriez pas de vos nouvelles et qui respecte ce silence
parce que, précisément, il vous connaît
bien. Ce silence annonce des retrouvailles encore plus belles... Êtes-vous fière
ou encombrée par le
nombre de vos fans ? Je
n'en connais
pas le nombre mais j'en ressens leur énergie! Ils m'aident
à vivre, me stimulent jour après jour. Il ne peut
être question ici de fierté ou d'encombrement, ce
serait ramener une relation authentique à une question
d'ego. Je trouverais ça triste! Vous n'avez donné que deux
interviews en trois ans,
pensez-vous que le seul moyen d'expression d'un artiste soit son
travail ? Dans
un monde
idéal, oui! L'artiste doit disparaître
derrière son art. C'est un devoir d'humilité me
semble-t-il. En même temps je suis là devant vous
et je réponds à vos questions...
Drôle... Depuis quelques
années vous semblez vous dévoiler un peu...
Est-ce le signe que vous avez un peu plus confiance en vous ? C'est
plutôt le signe d'une confiance partagée qui
m'apaise. Comment avez-vous
rencontré Benoît, l'homme qui partage votre vie ? Je cherchais
un réalisateur de films d'animation... Il est producteur et
réalisateur et il est tout de suite tombé
amoureux du petit personnage de C'est une belle
journée.
[Sourire] Que faut-il faire
pour vous séduire? Je ne sais pas,
moi.. m'offrir un fraisier géant? C'est un gâteau
que j'adore. Alain
Souchon dit: "On fait toujours la même chanson, seuls les
mots changent parfois." Êtes-vous d'accord ? Oui, on hante
toujours les mêmes lieux, seules les personnes avec
lesquelles on voyage changent parfois. L'importance c'est que la magie
des mots opère. Le
succès est au rendez-vous depuis vingt ans. Comment
l'expliquez-vous ? J'ai lu un jour: "Le
succès n'est rien
que la permission de continuer." Après vingt ans de chansons
et de scène, je mesure le succès à
l'envie du public qui n'a jamais cessé. Cela
paraît essentiel à mes yeux. Comment
supportez-vous le temps qui passe ? J'aime beaucoup
la phrase de Samuel Beckett: "Ma naissance fut ma perte." Cela fait un
bon nombre d'années que cela m'accompagne! Maintenant c'est
le temps qui reste qui me préoccupe... Le temps n'est pas
mon ami. Quand il est trop long, je m'ennuie. Quand il est trop court,
je m'angoisse. Finalement je ne suis pas si facile à vivre.
[Sourire] On
vous dépeint souvent comme une artiste
mélancolique. Une part de moi
habite la mélancolie et une autre aime aussi le rire et la
gaieté. Malheureusement le monde prête
plutôt à l'état mélancolique
où le bonheur émerge parfois. Qu'est-ce
qui vous rend vraiment heureuse ? Une main qui se
tend, la bienveillance... On
dit que vous vivez avec un orang-outan dans la pénombre
la plus complète et que vous ne sortez jamais de chez vous ? Vous oubliez
aussi les tarentules, que je dors dans un cercueil, et que je
m'éclaire à la bougie... Cela dit j'adorerais
avoir un orang-outan... [Rires] A vos
débuts, la provocation sexuelle a
précipité votre succès. Vos images
sont plus douces, plus assagies. Vous n'avez plus besoin de provoquer ? Ne vous
inquiétez pas, le prochain album annonce le
réveil sensuel d'une femme qui vit avec un orang-outan dans
la pénombre la plus complète! A Bercy en 2006, la
scène sur laquelle vous vous produisiez avait la forme d'une
croix. Quel rôle joue la religion dans votre vie ? La religion est
une façon parmi d'autres d'élever son esprit.
Comme l'art ou la science. Pour autant que la religion soit une
proposition et non un asservissement. Mais cette question demeure pour
moi d'ordre privé. Quels rapports
entretenez-vous avec la mort et l'au-delà ? Savoir que sa vie
s'achève par une mort sans espoir d'au-delà est
un aspect de l'existence, un défi des plus difficiles que la
vie nous propose... Cette fatalité me rend
forcément mélancolique. Je sais pourtant la
non-permanence des choses: il faut vivre à tout prix le
moment présent... Mais c'est obsédant et inhumain
d'envisager son propre anéantissement et de celui de ses
proches! La représentation de la mort dans l'art, sous
toutes ses formes, aussi bien dans la littérature, la
peinture et la photographie me fascine. J'adore m'entourer de
vanités. C'est pour moi une façon de supporter
l'insupportable. Pensez-vous
chanter jusqu'à la fin de vos jours ou pourriez-vous
abandonner "prématurément" votre
carrière ? C'est une
question qui est quotidiennement à l'ordre du jour, alors
cela dépend... Comme nous sommes dans un bon jour, j'ai
décidé de chanter au moins jusqu'au 12 septembre!
Mais je sais que viendra le moment où je ressentirai le
besoin de me retirer.