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Mylène Farmer - Interview - 20 h Paris Première - 30 mai 1996






Emission diffusée chaque soir à 20 heures du lundi et vendredi sur Paris Première et proposant un long entretien avec un invité.

L'émission est enregistrée dans un studio particulier situé à proximité de la porte Maillot à Paris et se présentant comme une bulle entièrement vitrée permettant aux passants à l'extérieur d'assister à l'émisssion.

Le numéro avec Mylène a été enregistré le soir tard vers Minuit après le premier concert du Tour 1996 à Toulon le 25 mai et avant le premier concert parisien à Bercy le 31 mai.

A la fin de l'enregistrement, Mylène signera de nombreux autographes et se laissera photographier par des fans présents.


Paul Amar : Mylène Farmer apparaît très rarement sur les plateaux télé. Elle ne les aime pas. Mais notre bulle de verre ressemble si peu à un plateau télé. Elle trouve la télévision de plus en plus anecdotique et inintéressante. Nous veillerons, elle et moi, à rendre l'entretien le plus dense possible. Elle n'aime pas le soleil : extérieur nuit, ce sera notre décor d'un soir. Elle cultive volontiers le mystère, je le savais et je l'ai vérifié en découvrant le titre de son dernier album : Anamorphosée. J'ai pris, je l'avoue, le dico pour être bien sûr du sens. Anamorphose : "image déformée par un miroir courbe". Pourquoi Mylène Farmer se veut-elle à ce point déformée ? Pourquoi met-elle un miroir courbe entre elle et nous ? Je ne sais pas. Vous non plus, je suppose. Alors, suivez-moi. Je vais me glisser derrière le miroir pour tenter de surprendre la vraie Mylène Farmer. Mais, s'il vous plait, ne le lui dites surtout pas, elle pourrait m'en vouloir. Bonsoir Mylène Farmer.
Mylène Farmer : Bonsoir.


Paul Amar : Merci d'être avec nous dans cette bulle de Paris Première. Vous savez que... on le voit (Paul Amar évoque ici les très nombreux amassés derrière la vitre du studio afin de regarder l'émission, ndlr), il y a eu Bruel et vous. Voilà ! Le soir, tard, du monde, comme ça, autour de la bulle. Ils nous entendent !
Mylène Farmer : Bonsoir ! (se tournant vers les fans présents, ndlr) (rires)


Paul Amar : La présence de ce public qui est venu vous voir, donc de vos fans, dans cette émission qui commence... Ils vous rassurent ? Ils vous inhibent ? Ils vous...
Mylène Farmer : Ils me rassurent. (sourire)


Paul Amar : Ils vous rassurent !
Mylène Farmer : Oui !


Paul Amar : Parce qu'ils vous aiment ?
Mylène Farmer : Je le suppose puisqu'ils sont là !


Paul Amar : Vous aimez être aimée ?
Mylène Farmer : J'aime être aimée, oui !


Paul Amar : Alors, il est tard, le soir, vous le voyez de toute façon à la lumière, parce que cette émission sera diffusée jeudi 30 pour la première fois, à 20heures, c'est-à-dire vingt-quatre heures avant Bercy et, comme vous êtes en tournée, entre plusieurs villes de province et Paris, on a choisi tard le soir pour enregistrer cette émission. Vous auriez préféré être en direct et en pleine lumière, à 20heures, ou cette lumière nuit vous convient davantage ?
Mylène Farmer : Je crois que je préfère la nuit.


Paul Amar : Pourquoi ?
Mylène Farmer : C'est plus rassurant pour moi.


Paul Amar : Pourquoi ?
Mylène Farmer : Ça fait partie des paradoxes. Je peux être dans la lumière et j'aime l'ombre également.


Paul Amar : Et vous préfèreriez l'ombre ou la lumière si vous deviez choisir ? Lumière jour, ombre nuit ?
Mylène Farmer : J'aurais les deux réponses : l'ombre et la lumière.


Paul Amar : L'ombre et la lumière...
Mylène Farmer : Difficile de faire un choix entre les deux.


Paul Amar : A vingt-quatre heures de Bercy, vous vous sentez comment ? Ça va ?
Mylène Farmer : Ça va bien. Le trac, quand même. Mais, relativement sereine.


Paul Amar : Et le trac adouci par le fait que vous aimez la scène. Rencontrer le public sur scène...
Mylène Farmer : J'aime profondément ça. Je le fais rarement, mais j'aime ça.


Paul Amar : Alors, vous allez chanter évidemment toutes vos chansons qu'on connaît, mais notamment les plus récentes, et celles de cet album que j'ai reçu, Mylène Farmer, que j'ai écouté très attentivement et je l'ai dit, en vous accueillant, j'ai repris le titre. Moi, je fais un aveu, je ne connaissais pas ce terme, "Anamorphosée".
Mylène Farmer : Oui, c'est un terme cinématographique. Mais j'avoue que moi, je lui ai trouvé un sens plus poétique. Et j'ai mis "ée" à la fin. C'était plus pour évoquer l'idée d'un spectre qui s'est élargi, donc ma vision du monde, mes sensations qui se sont élargies et l'idée de ce rassemblement, non pas de la compression, mais d'un rassemblement pour ne faire plus qu'une image et pure.


Paul Amar : Ce que vous dites, c'est pas ce que j'ai ressenti, parce que quand j'ai vu la traduction de ce texte, je me suis dit, quoi, ça veut dire déformation. C'est un peu comme au Musée Grévin : on se présente devant un miroir courbe et, tout d'un coup, c'est pas nos traits. Alors moi je me suis dit...
Mylène Farmer : J'ai pris le risque.


Paul Amar : Vous avez pris le risque ?
Mylène Farmer : Je savais que je pouvais. Oui. (rires)


Paul Amar : Mais alors justement... Enfin, quand j'ai vu ce mot et quand j'ai cherché le sens, j'ai aussitôt regardé vos photos, celles que vous présentez de vous, et aucun trait de vous n'est déformé. On va les regarder ensemble. (Paul Amar feuillette le livret de l'album Anamorphosée, ndlr) Vous apparaissez telle que vous êtes habituellement. Alors qu'est-ce qui est déformé ? Parce que, d'une façon visible, rien n'est déformé : vos yeux, le corps...
Mylène Farmer : Mais, à nouveau, j'écarte, moi... le sens de la déformation, justement. En aucun cas déformation, non. Peut-être transformation, mais ce n'est pas non plus ‘métamorphosée'. Peu importe, d'ailleurs. Je préfère le sens poétique de ce mot.


Paul Amar : Transformation, si elle devait exister, de quelle nature ?
Mylène Farmer : Je crois que j'ai un grand changement qui s'est opéré en moi. J'ai voyagé, d'abord.


Paul Amar : Oui...
Mylène Farmer : Je me suis échappée de la France pendant près d'un an. J'ai essayé d'oublier mon métier, de m'oublier moi-même d'une certaine façon, et essayé de découvrir des choses différentes, des choses qu'on peut qualifier d'un peu plus normales, la vie de tous les jours en somme.


Paul Amar : Vous savez que le contraire - vous qui connaissez très bien le sens des mots, et je vous écoute, et vous avez écrit vos textes - le contraire de ‘normal', c'est...
Mylène Farmer : Anormal ! J'aime l'anormalité ! (sourire)

 
Paul Amar : 'L'a', L apostrophe !
Mylène Farmer : Oui. (sourire)


Paul Amar : Ce qui m'a un peu effrayé, je vous le cache pas, vous qui dites là, à l'instant, que vous vouliez retrouver un petit peu la normalité... c'est quoi ?  (en montrant la pochette de l'album Anamorphosée) C'est la décapitation ? Y'a pas votre tête !
Mylène Farmer : Je sais ! Mais, là encore, j'ai pris le risque parce que je savais que ça pouvait évoquer ça. Moi, je l'ai plus pensé en ce sens : l'esprit qui s'échappe, l'esprit qui va vers le haut, l'esprit qui voyage. Donc c'est ce que moi, j'ai voulu évoquer.


Paul Amar : L'esprit a voyagé et le corps a voyagé vers l'Amérique. C'est ça ? Quand vous avez quitté la France...
Mylène Farmer : L'Amérique. J'ai choisi l'Amérique... Pourquoi ? Je ne le sais pas bien, dans le fond. C'était peut-être plus facile pour moi que d'aller vers Los Angeles puisque j'y avais déjà rencontré quelques personnes. Maintenant, c'était plus l'idée des étendues vastes, d'une forme de liberté, une certaine solitude parce que Los Angeles est une ville pour solitaires. La rencontre est très difficile malgré tout...


Paul Amar : Elle peut être violente parfois ?
Mylène Farmer : Elle peut être violente, troublante. Mais, j'avoue que j'ai passé, moi, un très, très bon séjour.


Paul Amar : Et c'est là-bas que vous avez écrit California ou c'est ici ?
Mylène Farmer : C'est là-bas.


Paul Amar : Ah, c'est là-bas ?
Mylène Farmer : Donc, moi, j'ai demandé à la personne qui travaille avec moi, compositeur et producteur, Laurent Boutonnat, de m'y retrouver, et cela au bout, je crois, de cinq mois, et j'ai eu cette envie que d'enregistrer l'album à Los Angeles.


Paul Amar : Là, on regarde, je dis bien on regarde, on écoute évidemment, California, mais on regarde California, là-bas.


Diffusion d'un long extrait du clip California.


Paul Amar : Le regard est très triste à la fin. C'est la perception que vous avez de Los Angeles, de l'Amérique telle que vous la montrez, là ?
Mylène Farmer : Non, parce que là, elle est un petit peu caricaturale, je dirais. On s'est quand même polarisé ou concentré sur la prostitution. Los Angeles n'est pas uniquement la prostitution. D'ailleurs, il a été difficile de... Sur Sunset, il y a souvent, justement, le quartier cloisonné, toutes les prostituées, et là j'avoue qu'elles avaient disparu parce qu'elles avaient eu des problèmes avec cet acteur, enfin tout ce qui s'est passé autour de cette anecdote... (référence à l'arrestation quelques mois plus tôt de Hugh Grant avec une prostituée, ndlr)


Paul Amar : Hugh Grant, oui. Pourquoi ce choix justement ? Pourquoi ce thème ?
Mylène Farmer : Je ne suis pas sûre d'avoir la réponse, si tant est que j'ai toujours eu envie de jouer, d'interpréter une prostituée. Et j'avoue que sur California, c'est venu spontanément. Et donc, j'ai fait appel à Abel Ferrara qui, lui, évoque beaucoup la prostitution dans ses longs métrages.


Paul Amar : Quand vous dites dans la chanson : "Ma vie s'anamorphose", c'est difficile à dire, d'ailleurs...
Mylène Farmer : "Ma vie qui s'anamorphose", oui...


Paul Amar : Alors, ça veut dire quoi dans ce...
Mylène Farmer : Dans cette chanson là ?


Paul Amar : Dans cette chanson, oui.
Mylène Farmer : Là encore, j'ai toujours une difficulté quant à l'explication de textes. Parfois, il suffit de prendre des mots et, ma foi, une sonorité peut évoquer certaines choses. Moi : "ma vie qui s'anamorphose", si je peux essayer de trouver un sens à ce mot, c'est plus dans l'idée de ce rétroviseur et, là, on en revient plus à l'aspect cinématographique, donc de cette concentration du format cinémascope, etc. Mais j'ai l'impression qu'on ennuie les gens avec ça ! (rires)


Paul Amar : Il y a un contraste impressionnant - moi, je vous découvre ; je connaissais vos chansons, mais je vous découvre - entre cette façon dont vous vous exprimez, qu'on retrouve d'ailleurs dans vos textes, et puis cette image que vous montrez avec ce public toujours patient. (Paul Amar se tourne vers les fans présents derrière la vitre du studio, ndlr) Apparemment, il ne se lasse pas de ce que vous dites, de ce que vous montrez de vous. Cette image très... on va dire les choses, qui est même perturbante pour un homme qui vous interviewe, troublante en tout cas... que vous montrez, très provocatrice... et puis, les mots que vous employez, ce que vous dites à l'instant. Vous en êtes consciente ? J'imagine, quand même ! C'est délibéré ? C'est...
Mylène Farmer : Délibéré, préméditation, non, je n'en suis pas sûre. C'est juste l'idée et l'envie que d'interpréter des rôles différents. C'est autant de facettes qui font partie d'une personnalité. J'essaye, moi, de les exploiter, de ne pas tricher et de ne m'interdire rien.


Paul Amar : Rien ! Mais ça veut dire que dans ce clip, vous êtes dans la fiction ? Vous ne mêlez pas ce que vous ressentez ou dans le texte d'ailleurs, vous écrivez, ce que vous ressentez, parce que j'ai cru comprendre que... et là, j'oublie le clip qu'on vient de voir évidemment, j'ai cru comprendre qu'il y avait au contraire une frontière très, très, très... très mince entre ce que vous exprimez et la façon dont vous vivez les choses finalement...
Mylène Farmer : Il y a une frontière très, très mince, dans le fond. C'est vrai que quand moi j'écris les textes, dans le fond, je ne pense qu'à moi, qu'à ce que je ressens, ce que j'ai envie d'exprimer. Parfois, ce sont des idées ou violentes ou dérangeantes ou... Mais, là encore, c'est faire abstraction absolument de l'autocensure. Et c'est une liberté pour l'écriture.


Paul Amar : Vous êtes de ce point de vue complètement désinhibée ?
Mylène Farmer : Non ! Parce que ce serait là l'absolue liberté. Je ne le suis pas. Mais, dans le fond, ce métier m'aide à justement extérioriser tout ce que je n'oserais pas probablement dans la vie de tous les jours. Donc, c'est une chance que de pouvoir avoir ça.


Paul Amar : Ça va ? C'est la première fois que vous participez à une émission aussi longue, une heure ?
Mylène Farmer : Aussi longue, oui ! (rires)


Paul Amar : C'est la première fois ?
Mylène Farmer : Oui, je crois, oui.


Paul Amar : Et ça va ?
Mylène Farmer : Ça va bien, oui ! (sourire)


Paul Amar : Je ne sais pas qui doit avoir le plus peur de l'autre !
Mylène Farmer : (rires) Je ne sais pas !


Paul Amar : On retrouve Mylène Farmer dans quelques instants, après la pub. P


Diffusion de publicités.


Paul Amar : Et on retrouve notre invitée, Mylène Farmer. Je ne sais pas si les téléspectateurs ont vu – il y avait tous ces albums que j'ai présentés, enfin j'ai présenté le plus récent évidemment, de vous - mais vous êtes arrivée avec un gros livre, que vous gardez ! (rires de Mylène) On a changé de lieu. Vous êtes arrivée avec ce gros livre. Vous le gardez avec vous. Qu'est-ce que c'est ?
Mylène Farmer : C'est-à-dire que quand vous avez, que nous avons préparé l'émission...


Paul Amar : Attendez, on va le montrer. N'hésitez pas ! Je sais bien qu'il est lourd...
Mylène Farmer : Je sais qu'on va évoquer la littérature. Et j'avoue que ce livre fait partie de... Est-ce que c'est un livre de chevet ? J'en sais rien mais, en tout cas, c'est un livre que je trouve magnifique et, c'est un cadeau. Donc, j'avais envie de l'emmener tout simplement.


Paul Amar : L'auteur ?
Mylène Farmer : Et c'est, Allan Edgar Poe (sic) et, traduit par Baudelaire. Et c'est un livre très ancien du XIXème siècle et qui a beaucoup d'illustrations, si je les trouve... (Mylène feuillette le livre) Ce sont des anciens dessins...


Paul Amar : Je vais le découvrir ! Décidément, vous me faites découvrir beaucoup de choses ! (le journaliste feuillette le livre) Alors, Le scarabée d'or. Je sais que vous aimez les animaux. Le chat noir. Décidément ! C'est complètement au hasard et rien n'est préparé. Tout est improvisé.  C'est un peu lugubre, non ? Mais c'est de la littérature...
Mylène Farmer : Oui ! C'est Edgar Poe !


Paul Amar : C'est Edgar Poe ! Vous aimez lire, hein ?
Mylène Farmer : J'aime lire. Je ne lis pas suffisamment, mais j'aime ça.


Paul Amar : Déjà enfant, adolescente, vous lisiez beaucoup ?
Mylène Farmer : Pas du tout. Au contraire. Je crois que j'ai eu une rébellion absolue quant à l'école et ce que l'on vous imposait comme lecture. Donc, je crois que j'ai refusé ça totalement. Jusqu'au jour où, autodidacte, j'ai décidé que j'allais, moi, vers une famille littéraire, et puis après, on fait son chemin tout seul. Et c'était plus agréable comme ça pour moi.


Paul Amar : Quand vous écrivez vos textes, vos chansons, vous écrivez comment ? Où ? La nuit ? Le jour ? Chaudement habillée ? Dévêtue ? Seule ? Pas seule ?
Mylène Farmer : La seule réponse que je puis formuler : seule.


Paul Amar : Seule !
Mylène Farmer : Maintenant, quant à la tenue vestimentaire, je crois qu'elle m'importe. J'essaye de me souvenir... (elle réfléchit) Non. Ce doit être la journée, la nuit, peu importe.


Paul Amar : Le lieu, peu importe ?
Mylène Farmer : Le lieu, non, peu importe.


Paul Amar : Peu importe ! Ça peut être chez vous ? C'est à Paris, c'est à la campagne, c'est au bord de la mer ? Peu importe...
Mylène Farmer : Ça dépend. Pour cet album, par exemple, c'était à Los Angeles, dans une maison qui était louée, qui avait un petit studio à l'étage inférieur. Et c'était... non, pas dans ma chambre. Dans une autre chambre.


Paul Amar : Ah, les douze chansons de cet album, vous les avez écrites là-bas ?
Mylène Farmer : Oui.
 

Paul Amar : En ville même ? Dans la ville ?
Mylène Farmer : Oui, oui. J'avoue que je crois ne pas avoir besoin d'un lieu justement précis. J'arrive à m'isoler et reformer cette bulle dont on a besoin pour écrire dans n'importe quel lieu.


Paul Amar : On a vu la ville, en tout cas telle que vous, vous l'observez, vous la ressentez, dans California. On va voir une autre sorte de ville, fin de monde, fin de siècle : L'Instant X.


Diffusion d'un extrait du clip L'Instant X


Paul Amar : Car tout est blanc, mais c'est pas un blanc immaculé. Là, vous annoncez des choses terrifiantes, non ?
Mylène Farmer : (rires) Non. J'ai voulu retracer la vie... non pas la vie, mais une journée, que l'on peut avoir, où tout va mal. Tout va mal. C'est une concentration d'événements, dès qu'on se lève et, tout va mal, à nouveau. Et, on attend ce moment. Et, souvent il se passe ça ou dans une journée ou dans un mois, où à la fois toutes les choses viennent se concentrer, se former un peu comme un puzzle, et c'est le moment où tout rejaillit, et rejaillit cette fois vers le haut, et non pas vers le bas. 


Paul Amar : Ce jour-là, vous alliez bien ou mal ? C'était un jeu de votre part ou vous étiez dans une humeur plutôt maussade ?
Mylène Farmer : Très sincèrement, je ne m'en souviens pas, mais... Je ne sais pas.


Paul Amar : Et cette fin de siècle que vous nous annoncez, vous en pensez quoi, vous ? Vous y croyez au messie, parce que vous parlez du messie, non ? L'instant X, c'est quand le messie arrivera ?
Mylène Farmer : Pas précisément. Je crois... Je crois à quoi ? Une forme de spiritualité, je crois qui est indispensable pour tout le monde. Maintenant, être une religion particulière, non, j'avoue que j'ai du mal à la nommer.


Paul Amar : Spiritualité, vous la voyez quoi ? Dans le regard de l'Homme ou là-haut, une force invisible, supérieure ?
Mylène Farmer : Parfois, j'aime l'idée de la force invisible et, je préfère trouver une force et une générosité ici et, de personne à personne, c'est plus important.


Paul Amar : C'est quoi le Styx ?
Mylène Farmer : Le Styx, c'est ce lac qui est dans l'enfer.


Paul Amar : Ah ! Et vous dites ça avec un sourire désarmant ! (rires de Mylène) Vous le connaissez ce lac ?
Mylène Farmer : Je l'ai évoqué souvent en tout cas. J'aime beaucoup ce mot. J'aime bien jouer avec les mots.


Paul Amar : Vous l'imaginez comment ce lac ?
Mylène Farmer : Très noir.


Paul Amar : Et l'Enfer ?
Mylène Farmer : Une idée de l'Homme, dans le fond...


Paul Amar : Noir aussi ?
Mylène Farmer : Oui. Trop lourd. Trop lourd, cette idée. (long silence)


Paul Amar : C'est simplement un jeu auquel vous vous livrez ou, au fond de vous, vous avez cette vision assez pessimiste ou de l'homme, ou de l'humanité ? Est-ce qu'on se rapproche, quand je vous entends parler et vous entends penser à voix haute, plutôt de la littérature ou est-ce que vraiment, au fond de vous-même, vous exprimez ce que vous pensez ?
Mylène Farmer : Je crois avoir... Je ne sais pas si vous faites allusion à pourquoi un public a pu me suivre tout au long de ces années quand, moi-même, j'ai évoqué des thèmes un peu plus difficiles, un peu plus désenchantés, parce que moi-même je l'étais profondément, oui. Maintenant, il s'opère dans la vie, à nouveau, des changements, qu'on le veuille ou non et il y a des personnes qui ne changent pas. Moi, j'ai eu cette chance que de rencontrer... C'est toujours, là encore, difficile ou la justification ou d'essayer de trouver des mots. Vous dire que j'ai rencontré la lumière serait un petit peu fort, mais j'ai une rencontre, en tout cas d'avec un livre qui a été important dans ma vie...


Paul Amar : Lequel ?
Mylène Farmer : ... qui est Le livre tibétain de la vie et de la mort qui parle de l'idée de l'impermanence, qui est... vivre le moment présent. Et ça, ça a été quelque chose d'extrêmement fort pour moi. Cette idée que de ne pas appréhender la mort. Enfin, autant de choses. Là, je vous donne tout en vrac, c'est un peu confus...


Paul Amar : Non, non, non, non. Je vous suis parfaitement ! Vous étiez...
Mylène Farmer : Mais, tout ça pour essayer d'évoquer ce changement.


Paul Amar : Oui, parce que vous étiez hantée par l'idée de la mort, par cette notion de mort...
Mylène Farmer : J'étais profondément hantée, c'est-à-dire qu'il n'y avait pas un jour sans que je ne pense à cette mort.


Paul Amar : La mort de l'autre ou... ?
Mylène Farmer : Ou la mort de l'autre ou ma propre mort, le vieillissement. Enfin toutes ces choses qui font que vous vivez mal, dans le fond. Et c'est, dans le fond aussi, le refus de vivre. (silence)


Paul Amar : Tout au long de l'émission, j'ai le sentiment, parce que là vraiment je vous découvre et j'ai l'impression qu'il se passe quelque chose de nouveau, puisque vous l'affirmez, et quand vous il s'est passé quelque chose de nouveau (sic)... et alors il y aura un décalage, c'est rigolo, si j'ose dire, mais ça doit l'être, entre les sujets qu'on a prévus...
Mylène Farmer : C'est vrai ?


Paul Amar : Et bien oui... qui sont le reflet de tout ce que vous avez offert, jusqu'à présent, à votre public et les mots que vous prononcez, c'est-à-dire les sentiments que vous exprimez. Alors, ça fait rien. Jusqu'au bout, après tout, vous choisissez difficilement entre l'ombre et la lumière. On va continuer avec ce décalage.
Mylène Farmer : Bien sûr, oui.


Paul Amar : Alors, on va voir un extrait de film, Giorgino, où là vous aviez un rôle difficile, très difficile...
Mylène Farmer : Oui.


Paul Amar : On regarde.


Diffusion d'un extrait de Giorgino dans sa version originale (en anglais)


Paul Amar : Dans ce film de Laurent Boutonnat, vous jouez le rôle - c'est Catherine, c'est ça ? (Mylène acquiesce) - d'une jeune fille qui a du mal à sortir de sa propre enfance...
Mylène Farmer : Oui.


Paul Amar : ... à la limite de l'autisme. Est-ce que vous rejoueriez ce rôle aujourd'hui ?
Mylène Farmer : Oui !


Paul Amar : Il vous a plu ?
Mylène Farmer : Oui, beaucoup. Beaucoup.


Paul Amar : Ce film... Voilà, le public est encore là ! (Paul Amar désigne le public présent derrière les vitres du studio et qui assiste à l'émission) Vos chansons et vos albums, énormes succès, avec Céline Dion, enfin vous vendez par centaines de milliers et, ce film n'a pas rencontré le succès auprès du public. A votre avis, pourquoi ?
Mylène Farmer : Le fameux instant X n'est pas venu ! (rires)


Paul Amar : C'est quoi, c'est comme une alchimie qu'on attend, qui se produit ou pas ?
Mylène Farmer : Je crois. Je ne suis pas sûre que ça remette en question la qualité ni du film, ni d'un album, ni d'un artiste. Là, j'essaie de faire abstraction de moi, de ma présence dans le film, mais tout simplement, je continuerai de défendre ce film, je continuerai d'aimer ce film. Maintenant, je crois qu'il n'a pas trouvé la rencontre, qu'il n'a pas eu cette rencontre d'avec le public. Est-ce que c'était un mauvais moment pour le film ? Est-ce que c'était trop noir pour le public ? Je crois qu'on n'aura de toute façon jamais la réponse. Donc... Ma foi, accepter cet "échec". Mais, pour moi, ce n'en est pas un. Donc je le vis bien dans le fond.


Paul Amar : On voit que vous aimez l'image, on le voit dans vos clips qui sont de petits scénarii, parfois courts, parfois brefs, parfois plus longs, dix à douze minutes. Vous aimez l'image au point de faire un long métrage. Vous allez continuer ?
Mylène Farmer : Là encore, je n'ai pas la réponse. Je crois que j'aimerais, oui, faire un autre long métrage. J'aime jouer, j'aime interpréter des rôles.


Paul Amar : On va sortir de cet univers un peu glauque, un peu difficile pour entrer dans un autre, beaucoup plus éclairé, là - on passe de l'ombre à la lumière - dans un univers que vous aimez et qui est celui du cheval. Et vous allez découvrir un homme que vous connaissez, et que Laure Fortin a rencontré.


Diffusion d'un petit reportage sur Mario Luraschi dresseur de chevaux qui avait travaillé sue le clip Pourvu qu'elles soient douces en 1988.


Mario Luraschi : (...) Pour Mylène Farmer, j'ai eu le grand plaisir de faire son clip. Effectivement, c'était exactement dans les mêmes conditions qu'un vrai film. D'ailleurs on a tourné plus de huit jours. Elle était venue s'entraîner un tout petit peu, pas beaucoup parce qu'elle a pas besoin de s'entraîner. Elle monte quand même très bien. Et on s'est, en plus super bien marrés ! On a réglé toutes les cascades, aussi bien les grandes galopades, où elle retrouve le bel officier que la partie grande bagarre où on s'est le plus marrés d'ailleurs ! (...)


Paul Amar : Vous n'étiez pas doublée, là, dans le film ? C'est vous qui montez ?
Mylène Farmer : Oui, oui.


Paul Amar : Vous aimez le cheval ?
Mylène Farmer : J'adore ça, oui. Je crois que j'en ai un petit peu peur aujourd'hui, bizarrement.


Paul Amar : Pardon ?
Mylène Farmer : Je dis, je crois que j'en ai un petit peu peur, peur de monter à cheval.


Paul Amar : Maintenant ?
Mylène Farmer : Oui.


Paul Amar : Pourquoi ?
Mylène Farmer : Parce que je le fais de moins en moins. Donc l'acrobatie... peut-être avec l'âge ! (rires) Mais, en tout cas, la rencontre d'avec Mario a été vraiment, je ne sais pas si c'est importante mais extrêmement agréable. Et c'est quelqu'un d'abord de très doux, très sensuel sur un cheval, et très, très talentueux. Très généreux aussi.


Paul Amar : Vous aimez les animaux ?
Mylène Farmer : J'adore les animaux.


Paul Amar : On dit que vous avez un singe. Chez vous ?
Mylène Farmer : Oui.


Paul Amar : Il s'appelle comment ?
Mylène Farmer : E .T.


Paul Amar : E.T. !
Mylène Farmer : (Mylène acquiesce) C'est un capucin.


Paul Amar : C'est-à-dire, un capucin ? C'est quelle...
Mylène Farmer : C'est un singe d'Amérique du Sud.


Paul Amar : Et il vit avec vous ? (Mylène acquiesce) Et la communication, ça se passe comment entre vous ?
Mylène Farmer : Très, très bien !


Paul Amar : C'est-à-dire ?
Mylène Farmer : Nous pouvons converser, jouer. Des moments de tendresse. Autant de choses qui...


Paul Amar : Il peut y avoir une vraie communication entre l'humain et l'animal ?
Mylène Farmer : Bien sûr ! Bien sûr ! Et précisément le singe.


Paul Amar : Qui se passe de mots...
Mylène Farmer : Je crois qu'elle aime bien les mots. Elle aime les intonations, mais ça, comme tous les animaux. Mais c'est quelqu'un de très, très intuitif.


Paul Amar : Mylène Farmer reste avec nous jusqu'à la fin de l'heure, jusqu'à 21 heures. Pub.


Diffusion de publicités


Paul Amar : Mylène Farmer est toujours avec nous, à quelques heures à peine... elle nous fait la gentillesse de venir dans cette bulle, à quelques heures à peine de Bercy. Vous vous préparez comment ? Vous allez dormir ? Vous allez vous reposer, ou pas ? Enfin...
Mylène Farmer : J'ai peu le temps de me reposer, mais je fais beaucoup de sport. J'essaye de continuer avant les concerts. Donc, c'est de l'entraînement avec Hervé Lewis qui est un très, très bon entraîneur et un ami également. C'est de la musculation et beaucoup d'endurance donc, de la course. Et en fait, je suis tout, tout près de chez vous quand je viens faire du sport.


Paul Amar : Ah oui ? Au gymnase à côté-là ?
Mylène Farmer : Je ne sais pas ! (rire gêné)


Paul Amar : Bon, on ne va pas... ah, c'est vrai qu'il y a le public qui écoute ! Il pourrait encore vous suivre jusque là !
Mylène Farmer : Je plaisante !


Paul Amar : Quand vous allez entrer dans la salle et que vous allez voir cette foule immense, qu'est-ce qui se passe dans votre tête ou dans votre cœur ? Est-ce qu'il bat plus fort ?
Mylène Farmer : Il bat plus fort. Le trac, en général, c'est avant, avant d'entrer en scène. C'est quand on commence à trop penser, trop réfléchir et, une fois ou que l'on monte sur scène, ou en dessous de scène, ou dessus de scène - tout dépend de l'apparition-  là, j'avoue que s'opère un total changement et on est totalement dans le spectacle. Et, enfin, l'analyse et la réflexion se dissipent.


Paul Amar : C'est ça ! Et là, vous vous donnez à la foule, quoi, vous donnez votre talent. Un aperçu de ce concert, vous étiez il y a quelques jours à Toulon...
Mylène Farmer : Oui.


Paul Amar : ... pour chanter. On regarde, on écoute, avant d'en parler.


Extraits de différentes chansons du spectacle du Tour 1996 filmées lors du premier concert de la tournée au Zénith de Toulon :  Alice, Je t'aime mélancolie, California et Désenchantée.


Paul Amar : Avant de parler spectacle, et c'est l'objet de toute notre émission, je voudrais une petite parenthèse qui sera brève parce que... le fait d'aller chanter à Toulon ne vous a pas posé de problème. Vous avez réfléchi, vous avez hésité ?
Mylène Farmer : Non. Non. Je sais quels sont les problèmes à Toulon. (le maire élu quelques semaines plus tôt lors des élections municipales était un maire du parti du Front National ce qui avait conduit certains artistes à annuler leurs concerts dans cette ville, ndlr) Maintenant, ma vie est celle du spectacle donc, pourquoi refuser que d'aller dans cette ville ? Tous les gens n'ont pas choisi, une fois de plus, ce qui s'est passé et ce qui s'y passe. Non. J'y ai pensé, bien évidemment. Maintenant, j'ai décidé d'y aller et le Zénith de Toulon est une très, très belle salle. Et le public était magnifique.


Paul Amar : Et des gens de la municipalité ne vous ont pas agressée, vous ont laissé faire ? Il n'y a pas eu de problème de ce point de vue ?
Mylène Farmer : Pas du tout. Aucun problème. Aucun.


Paul Amar : Allez, on ferme, parce qu'on ne va pas parler de ça longtemps. Ce n'est pas une émission politique et puis on ne va pas la polluer. Je vais revenir au spectacle. Vous avez des tenues extravagantes comme ce soir aussi !
Mylène Farmer : C'est Paco Rabane qui a fait les habits. Et là, j'avoue que c'était encore un très, très bon moment, en tout cas toute l'élaboration justement des costumes, les idées. Là encore, j'ai de la chance.


Paul Amar : J'imagine qu'on vous a déjà posé la question, mais bon, inévitablement, on y pense en vous regardant sur scène : Madonna. On vous a déjà posé la question ?
Mylène Farmer : Mais pourquoi "inévitablement" ? Est-ce que c'est un défaut journalistique ou est-ce que c'est une vraie envie que de me comparer à Madonna ? Je vais vous retourner la question. (rires)


Paul Amar : J'aime bien ça ! C'est une vraie perception : cette façon que vous avez de bouger sur scène, d'être désinhibée, vous l'avez dit tout à l'heure, de mêler à la fois la danse, le chant, la chanson, mais aussi vos textes, comme une provocation comme ça lancée à l'homme. Donc, inévitablement, la comparaison se fait.
Mylène Farmer : Alors la comparaison ne me dérange pas. Et, une fois de plus, je trouve qu'elle a beaucoup de talent donc... Donc, dans le fond, peu m'importe.


Paul Amar : Peu vous importe.
Mylène Farmer : Peu m'importe.


Paul Amar : Vous la prenez pour flatteuse, pour dégradante, pour... 
Mylène Farmer : Comme je l'ai dit : flatteuse. Flatteuse. C'est quelqu'un de grand talent. Qu'on épouse ou non ses revendications, ses excès, c'est malgré tout quelqu'un de grand talent, et elle l'a assez prouvé parce qu'elle dure, perdure. Donc, ce ne peut être, dans le fond, qu'un compliment, en tout cas sur, j'oserais dire, la longévité, en tout cas.


Paul Amar : J'imagine qu'un journaliste américain pourrait dire un jour à Madonna : "Tiens, vous me faites penser à Mylène Farmer".
Mylène Farmer : Je ne sais pas ! (rire)


Paul Amar : Le public est toujours là et il nous écoute toujours. Moi, je n'en reviens pas. Vous savez quelle heure il est ? Je le dis aux téléspectateurs. Chez vous, il est, quoi, 20 heures 20 pour la diffusion. Là, ici, pendant l'enregistrement, il est plus de Minuit 20. Ils sont venus au tout début et ils sont encore là. Ils sont même organisés. Ça existe, vous avez un club de fans qui existe et que Lionel Boisseau a retrouvé. Il a rencontré deux de ses adhérents qui parlent de vous, et de quelle manière !


Diffusion d'un reportage sur Olivier et Wilfried, deux fans qui gèrent un fanzine consacré à Mylène


Paul Amar : Il est là, Wilfried. Il est là. (gros plan sur le fan qui fait un petit signe de la main) Il est venu. Vous le connaissez ? Vous l'avez déjà rencontré ce garçon ?
Mylène Farmer : Je ne sais pas.


Paul Amar : A votre avis... Je ne sais pas... On peut continuer l'interview, oui ? Puisqu'ils écoutent... Il y a comme un lien entre vous et eux. J'ai presque envie de m'effacer si je pouvais...
Mylène Farmer :  Je vous en prie ! (petit rire)


Paul Amar : Pourquoi vous aiment-ils ?
Mylène Farmer : Je ne sais pas. Je crois qu'il ne faut pas me poser cette question. Je n'en ai pas la réponse. Je crois que je ne le sais pas.


Paul Amar : Le fait que des photos de vous soient comme ça épinglées sur les murs, sur leurs murs, qu'ils s'endorment avec, qu'ils se réveillent avec, ça génère quels sentiments chez vous, quelles sensations d'être présente comme ça dans une telle intimité finalement, de garçons ou de filles ?
Mylène Farmer : Oui... J'ai presque envie de dire c'est ce pour quoi je fais ce métier, sans penser à effectivement le poster contre le mur, mais en tout cas cette idée que d'être aimée et que d'être choyée. Donc, je ne vais pas me révolter contre le fait que quelqu'un veuille épingler ce fameux poster contre le mur.


Paul Amar : Ah non ! Ce n'était pas un reproche !
Mylène Farmer : Non, non, non ! Mais, vous voyez, je suis sur la défensive parce que c'est un sujet qui est extrêmement, dans le fond, délicat pour moi. Pourquoi m'aime-t-on ? Je ne sais pas. Mais, je l'accepte en tout cas.


Paul Amar : Est-ce qu'ils aiment ce mystère que vous avez entretenu, que vous entretenez ?
Mylène Farmer : C'est ce qu'ils disaient, en tout cas. Là encore, le mystère, c'est aussi une absence de justification, que je continuerai probablement de faire, même si là j'ai décidé de parler un peu plus longuement. Parce que, une fois de plus, je crois que la justification fait du mal, et me fait du mal à moi-même. Trouver les mots justes, c'est très difficile.


Paul Amar : Non. Non, non. Vous l'avez fait tout au long de l'émission. Ils aiment peut-être aussi, en tout cas pour certains d'entre eux, garçons ou filles, cette ambiguïté que vous avez cultivée jusqu'à présent...
Mylène Farmer : Probablement.


Paul Amar : Sans contrefaçon.


Diffusion d'un extrait du clip Sans contrefaçon


Paul Amar :  Cette scène est très touchante  (l'extrait du clip s'est terminé par une scène de Mylène avec Zouc, ndlr) parce qu'on a parlé une première fois de Zouc quand Denisot était là, parce qu'on avait présenté une interview qu'il avait faite d'elle, il y avait un long silence d'ailleurs, assez étrange entre les deux, et on avait demandé des nouvelles qu'on n'avait pas eues. Là, on revoit Zouc avec vous. Vous avez des nouvelles d'elle ?
Mylène Farmer : Non. J'avoue que non.


Paul Amar : Elle a disparu comme ça...
Mylène Farmer : Oui. C'est quelqu'un de grand, grand talent.


Paul Amar : Oui, oui, et c'est curieux parce qu'un assez grand talent pour survivre aux difficultés de votre métier, parfois, mais bon il y a comme un retrait.
Mylène Farmer : Elle avait en tout cas - elle a toujours probablement - une grande, grande fêlure en elle. Mais c'est une femme très, très troublante en tout cas. Sur le tournage, je me souviens des... Troublante !


Paul Amar : Quand vous dites fêlure, c'est curieux parce que c'est un mot auquel j'ai pensé en préparant cette interview, de vous et pour vous. C'est un mot que vous employez volontiers vous-même quand vous évoquez vos propres sentiments ou votre propre vie ?
Mylène Farmer : Je crois que j'ai une fêlure en moi, très certainement. C'est peut-être ce qui, dans le fond, me relie à ces personnes que vous évoquiez, qu'on appelle les fans, et qui ont ça en eux également. Ce peut être un mal de vivre. Ce peut être des choses qu'on ne comprend pas bien, des manques profonds.


Paul Amar : Mal de vivre ?
Mylène Farmer : Le mal de vivre, oui, c'est quelque chose que j'ai évoqué. Est-ce que je l'évoquerai à nouveau ? Probablement pour l'autre, plus que pour moi. Moi, je crois avoir eu des réponses dans ma vie. Ça a été parcouru de difficultés, de joies également, et je crois que je fais définitivement partie de ces privilégiés. Quand je pense à "privilégiés", je pense souvent à des enfants, par exemple des enfants dans les hôpitaux que je vais voir de temps en temps...


Paul Amar : Oui, je sais...
Mylène Farmer : ... et à chaque fois que j'ai envie de me plaindre, par exemple, je pense immédiatement à ces enfants, par exemple, et je me dis : "Bon sang, la vie est courte. Eux ont une vraie, vraie souffrance." Elle n'est peut-être pas métaphysique, mais c'est une souffrance qui est profonde et qui est pour, peut-être, leur vie entière. Et, dans le fond, je ne m'autorise pas à être plus triste que ça, ou plus désarmée que ça. Ce qui n'empêche pas la fêlure, mais qui vous donne envie de vous battre un peu plus vivement en tout cas.


Paul Amar : J'ai re-regardé certains de vos albums. Je vous avoue que j'ai cherché désespérément - je vais les montrer quand même, tiens voilà - un sourire.  Alors, celui-ci, il n'y est pas ! (il montre la pochette de l'album Cendres de Lune)  Le récent, il n'y est pas. (il montre la pochette de l'album AnamorphoséeAinsi soit je..., qui a beaucoup marché, il n'y est pas. L'autre..., il n'y est pas. Je pensais que vous n'alliez pas sourire pendant cette émission, et vous n'avez cessé de sourire, souvent, en tout cas. Alors, est-ce que ça veut dire que... (il montre à nouveau la pochette de l'album L'autre...) Cet oiseau noir, comme ça, terrible, L'autre.... Est-ce que le prochain album, ce sera une Mylène Farmer très souriante...
Mylène Farmer : Je ne sais pas. Je ne peux même pas envisager le prochain album, donc vous n'aurez pas la réponse. Quant au sourire, c'est dans le fond assez spontané. Vous êtes quelqu'un de charmant, donc j'ai envie de sourire !


Paul Amar : Et vous souriez aussi aux téléspectateurs...
Mylène Farmer : Ça m'arrive aussi !


Paul Amar : ... peut-être à travers moi.
Mylène Farmer : Peut-être !


Paul Amar : Cette évolution dont vous parlez comme ça est...
Mylène Farmer : Probablement. Et le sourire l'accompagne, en tout cas, oui.


Paul Amar : XXL. C'est aussi dans le récent album.


Diffusion d'un extrait du clip XXL.

Lors du retour au plateau, gros plan sur un t-shirt porté par une fan.


Paul Amar : Ah ! Il y a même le t-shirt ! (rires) Ça, c'est plutôt début de siècle ce tournage ? Vous avez fait comment avec cette locomotive ?
Mylène Farmer : C'était un tournage qui a été effectué à Los Angeles, à Fillmore, qui est une concentration d'orangeraies, et il y a beaucoup de trains, des trains anciens. C'est un vrai train, de 1906 je crois. Et j'étais câblée devant la locomotive et elle roulait vraiment.


Paul Amar : Ah, c'est pas un trucage électronique ? On vous a collée à cette locomotive ? (Mylène acquiesce) Vous n'aviez pas peur ?
Mylène Farmer : Non, non. A la fin, oui ! Le dernier plan, qui est le plan large, où je me suis retrouvée réellement toute seule en face de cette locomotive, avec des loumas qui étaient très, très éloignées...


Paul Amar : Des loumas, des caméras qui survolent...
Mylène Farmer : ...et là, le train prenait vraiment de la vitesse, et tout d'un coup, on se pose quelques questions.


Paul Amar : Ah, mais pour le coup justement, on oublie les angoisses métaphysiques, existentielles, mal de vivre... !
Mylène Farmer : Certes ! (rires)


Paul Amar : On est dans l'action, finalement comme sur scène.
Mylène Farmer : Oui. On est dans le moment présent.


Paul Amar : J'ai oublié de vous demander tout à l'heure, parce que j'ai observé que vous êtes née au Canada. Vous avez quitté le Canada à l'âge de neuf ans. (Mylène acquiesce) Vous êtes canadienne venue en France à l'âge de neuf ans ou vous êtes française née au Canada ?
Mylène Farmer : J'ai les deux nationalités. Donc, selon l'humeur, je suis Canadienne ou Française ! (sourire)


Paul Amar : Vous êtes née à Montréal ?
Mylène Farmer : Oui.


Paul Amar : On a reçu avant-hier, oui c'est ça, avant-hier, Charlebois, mais vous n'avez pas le même accent.
Mylène Farmer : Non. Je l'ai perdu très, très vite.


Paul Amar : Ah ! Vous l'aviez ?
Mylène Farmer : Un petit peu, je pense, oui.


Paul Amar : Et vous avez cette nostalgie des immensités ? On retrouve souvent ces immensités,ou même la neige, le blanc dans vos clips. Vous l'avez ?
Mylène Farmer : Nostalgie, je ne sais pas. Mais, en tout cas, j'ai un amour profond pour ce blanc immaculé, la neige, le froid. Et j'ai appris à aimer le soleil.


Paul Amar : Ah ! Ça aussi, c'est nouveau ! Ça aussi c'est nouveau, parce que dans tout ce que j'ai lu de vous, sur vous...
Mylène Farmer : J'ai toujours évoqué le froid, c'est vrai, mais...


Paul Amar : On est à quelques jours de l'été, c'est parfait. Et à quelques heures de Bercy. Donc vous allez chanter vendredi soir à Bercy, puis un peu partout en France, et puis en Europe, notamment à Bruxelles, Toulouse, Marseille, Lyon, Genève. Donc, forte, longue tournée et Alexandre Pachoutinsky, chef d'édition, me dit dans l'oreille : "C'est fini !". L'émission est terminée !
Mylène Farmer : C'est fini ! (sourire)


Paul Amar : Oui. Ça va ? Ca s'est bien passé ?
Mylène Farmer : Très bien ! Merci à vous en tout cas.


Paul Amar : La première fois que vous participez à une émission d'une heure ?
Mylène Farmer : Oui. La dernière ! Mais c'était un bon moment !


Paul Amar : Merci beaucoup Mylène Farmer. Et, bon Bercy !
Mylène Farmer : Merci beaucoup.


Paul Amar : (...) Bonne tournée !
Mylène Farmer : Merci beaucoup !