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Analyse des concerts Timeless 2013 par CyrilH




Aanalyse des concerts Timeless 2013 par CyrilH (novembre 2013)


Timeless une dystopie ? Est-ce perdre son temps que de le croire et de le dire ? Et pourtant…



Les premières paroles chantées par Mylène Farmer lors de son dernier spectacle Timeless 2013 ne sont-elles pas « à l'envers cette terre », comme la dystopie est une utopie inversée, c'est à dire une représentation du monde souvent futuriste, toujours infernale, cauchemardesque ? Le choix de la chanson « Mad world », totalement étrangère au répertoire farmérien, pour ouvrir la partie « piano/voix » du concert renvoie à ce même thème : « it's a mad world » peuplé de « worn out faces », « with no expression », « going nowhere », dans lequel « the dreams in which I'm dying are the best I've ever had ». Cette chanson permet aussi de tisser un lien entre la dystopie futuriste et l’état présent du monde, auquel fait référence à l’origine la chanson. Mais chut… tu ne le dis pas…

Comment installer cette dystopie ? D’abord par le lieu de ce voyage à travers les étoiles, vers un univers loin, très loin de notre monde, à des années-lumière, du moins en apparence, et l’arrivée d’un personnage énigmatique qui va changer cet univers. Après le noir, au bout de la nuit, les étoiles au début du spectacle qui finissent par former le visage de Mylène tel qu’il apparaît sur l’affiche de la tournée constitue peut-être un effet d’annonce. Une entrée stellaire, un bouillonnement d'étoiles fixes et filantes qui se rejoignent pour former peu à peu un tunnel rectiligne, puis en spirales, un tourbillon évoquant le Tartare grec. Les étoiles semblent elles-mêmes voyager dans le temps et l’espace, ce dont d'ailleurs les paroles de « Comme j'ai mal » se feront l'écho : le temps (« à mille saisons ») et l'espace (« mille étoiles »). Le tunnel se métamorphose ainsi en ce qui pourrait être une vision du voyage inter-dimensionnel, où les réalités alternatives multiples qui coexistent sont symbolisées par des sphères qui se rejoignent et se disjoignent sans cesse, comme une vision de la théorie du chaos peut-être. Ce passage entre les dimensions débouche sur un vaisseau qui évoque un cratère dans lequel on s’engouffre pour accéder à l’un de ses couloirs qui semble infini, labyrinthique, un dédale spatial, avec déjà le mélange des imaginaires mythologiques et futuristes : au tunnel stellaire succède un tunnel métallique mais toujours virtuel car ces plans sont des images de scène présentées sur un écran gigagéant, qui occupe tout le « mur » du fond de scène. Le tout sur la musique inquiétante du film Inception de C. Nolan qui soudain devient celle de la chanson « A force de ». A-t-on jamais les mots… pour décrire cette genesis…
Sur cette même chanson, les images de scène (ou backdrops) semblent évoquer le processus de constitution de l’univers depuis le big bang : naissance et mort d’étoiles, explosions et reconstruction de matières nouvelles à partir d’éléments épars. Et là… apparaît un élément essentiel du spectacle, l'alchimie entre 3 éléments de décor. Des éléments de décors fixes que sont la porte des étoiles qui apparaît comme un immense soleil bleu accompagné de chants célestes, d’un autre monde, des décors latéraux évoquant en creux ou en relief des colonnes et un escalier. Ils sont accompagnés de pièces de décor mouvantes (plate-formes) étonnamment fluides compte tenu de leur masse, qui s'assemblent et se défont pour transformer le décor au fil des tableaux, et donc d’un écran au fond.  L'alliance entre ces trois éléments est particulièrement réussie lors du 2ème couplet d' « A force de » lorsque l'écran simule, en référence à 2001, odyssée de l’espace de S. Kubrick, l'intérieur d'un vaisseau - peut-être d'une salle des machines - tournant sur lui-même. Est-ce une façon d’annoncer l’absurdité du monde dystopique, sur lequel l’héroïne vient d’atterrir, qui tourne à vide sur lui-même ou simplement d’évoquer le cœur, l’âme du vaisseau sans lequel il ne pourrait fonctionner ? Les flashes lumineux qui apparaissent et disparaissent sur les parois de cette salle des machines évoquent en effet plutôt la vie – comme des pulsations… Les plateformes simulent l'entrée du vaisseau tout en rappelant les branches d'une étoile, l’énergie solaire, en écho à la puissance régénératrice de la nature dans les paroles de la chanson. Grâce à la centaine de projecteurs présents sur la porte des étoiles, à travers laquelle apparaît MF, l’astre bleu que forme l’entrée du vaisseau paraît déployer ses branches lumineuses ; lors du pont musical, il semble renaître de flammes qui renvoient peut-être aux restes d'une étoile qui vient d'exploser. Ici donc, la machine semble en parfaite communion avec le cosmos et la nature. A l’inverse, les éléments de décor sans cesse mouvants semblent signifier l'instabilité physique du monde où le vaisseau s’est posé : « à l’envers cette terre », constate-t-elle dès les premières paroles chantées. Ce monde lui, on le verra, a trahi son pacte avec la nature à l’image des représentations habituelles de planètes lointaines sur le déclin qui se meurent de la surexploitation de leurs ressources : Total Recall, le dernier Superman... A ce titre, le crâne nu de Moby, filmé de derrière au début du tableau « Slipping away » et bleuté, ressemble étrangement à la surface d'une planète. La voix stellaire de Mylène sur « A force de » vient donner un nouvel éclairage au thème de la chanson : savoir et vouloir espérer et donner l’espoir à l’autre quelque soit le situation, et ce en contemplant la beauté et la force de la nature : « La force des rapides, des vents qui se déchirent, me donnent l’envie de vivre, donner l’envie de vivre ; à force d’étincelles, que la nature est belle ». MF semble ici apporter au sein de la dystopie la voix salutaire d’un ailleurs, d’une nature qui existe encore bien qu’elle soit perdue ici, et qui va renaître au contact de ce personnage féminin, en tenue de voyage, encapée, entourée d’éclairs bleux à son arrivée sur scène comme l’écran derrière elle. La suppression sur la version live du vers « il pleut sur Vienne » pourtant présent dans la version album du titre, trop géographiquement situé, va dans ce sens. La voilà  prête à réveiller le monde…

Cependant sur le titre suivant, « Comme j’ai mal », le soleil naissant d’ « A force de » semble décliner. Ici-bas, la vie se fragilise. La reconcentration, et non plus le déploiement, de ces lignes lumineuses, voire leur repli, qui plus est sur une musique inquiétante, s’opère autour d'une porte des étoiles mauve sombre qui rappelle un soleil noir ou un trou noir - avec le jeu de mots sur le trou noir psychique puisqu'elle chante « ma mémoire se fond dans l'espace ». Ici, la voix stellaire de Mylène devient gutturale, étrange, comme malade, à l’image de l’étoile déclinante dont les rayons, instables, se formant et se déformant, paraissent chavirer, tanguer dans un sens puis dans l’autre : « ma pensée se fige, animale ». Elle qui vient d’un ciel bleu pur, est comme étouffée par ce lieu étrange, dystopique, où elle vient d’atterrir : « je ressens ce qui nous sépare », ici il s’agit sans doute d’elle et du monde où elle pénètre. Elle est animalisée. Sa faculté à ressentir des émotions  ou à penser rationnellement est comme absorbée : « abandon du moi, plus d’émoi », « ode à la raison qui s’efface ». Elle décide pourtant de continuer son chemin : « me conduit (ou confie -selon les dates-) au gré du hasard ». Et c’est là qu’elle va rencontrer les robots du tableau de « C’est une belle journée ».
A noter que l’on retrouve ces mêmes étoiles, fixes ou filantes, dispersées dans la salle au moment du « noir » juste avant le début du show, puis en fond d'écran de scène sur « C'est belle journée », enfin sur la partie supérieure de la scène au moyen de faisceaux de lumières blanches croisés pour cette même chanson, « Slipping away », « Désenchantée », « Bleu noir »… Sur « Bleu noir », la scène est illuminée par des cinq étoiles qui ressemblent à des soleils - sur « C’est une belle journée », ils sont trois - comme dans ces mondes de science fiction où plusieurs soleils éclairent simultanément leur planète, soleils non pas jaunes mais blancs, cendres de lune : soleils malades (« je tombe en défaillance ») ou en train au contraire de se régénérer comme tendent à le prouver les fluides lumineux sur l’écran du tableau « Bleu noir » (« survit un cœur couleur vermeille ») ? Soleils salvateurs surtout : l’amour sauve toujours ! On peut remarquer aussi que, sur « XXL », la porte des étoiles qui s'éveille au son de la musique rock évoque également la forme d'un soleil cette fois unique : après la réunification des autres soleils en un seul ? Les étoiles rouges mouvantes sur l'interlude où les robots se meuvent sur du Schubert puis du dubstep postulent une modification de la couleur de l’univers au gré des sentiments éprouvés par ses habitants (voir infra).

Nous voilà entrés au sein du monde dystopique. Et qui croisons-nous en premier ? De bien étranges robots, dès l'introduction du 3ème titre du spectacle « C'est une belle journée ». Tels des têtes chercheuses effrayantes, leurs yeux et à leurs bouches mués en lampes torches semblent traquer tout ce qui sortirait d'une « normalité » érigée en dogme non transgressible et en dehors de laquelle il est impossible de vivre dans une anti-utopie. Derrière eux, des projecteurs diffusant une lumière bleue miment également des lampes torches, ce qui renforce ce sentiment de traque. De même, la musique plus délicieusement étrange encore que sur « Comme j'ai mal » et plus « robotique » avec ses bruits de ferraille et ses semblants de gouttes d'eau qui rappellent ces images mille fois vues au cinéma d'eau qui coule dans une usine vide la nuit après un orage. On se souvient du même type d'arrangement dans la version studio de « Mylène is calling ». Or, ces robots soudain s'humanisent, joyeux, dansants, au contact de la seule femme « souveraine » (Mylène) qui subsisterait dans ce monde ou qui venue d'ailleurs sur son vaisseau spatial découvre un monde où les « filles », à l’image de l’androïde féminin de Fritz Lang dans Métropolis, sont des robots : « voir des anges à mes pieds ». La simple présence de cette voyageuse semble leur « donne[r] l’envie d’aimer », « de paix », puis de s’aimer mutuellement, comme le montrera l’interlude centré sur eux. On peut y voir une explication de la présence dans ce spectacle de danseurs hommes uniquement autour de Mylène, d’où également l'attitude protectrice des mêmes danseurs très proches autour d'elle pendant le pont de « C'est une belle journée », en particulier des deux danseurs de devant (Raphaël Sergio Baptista, Aziz Baki) qui l'entourent de leurs bras : la rareté se doit d'être protégée.  Elle dit d’ailleurs à ce moment-là : « comme un aile qu'on ne doit froisser ».

Ces robots sont l’un des épicentres du spectacle si bien qu’un interlude très original leur est consacré. Ils semblent se toiser du regard, se méfier les uns des autres, peut-être se découvrir comme « êtres vivants ». En tous les cas, ces robots irradient, dans un univers bleu froid, une lumière rouge. Celle-ci rappelle  les opérations de détection de la chaleur corporelle qui apparaît souvent « rouge » pour ceux qui la traquent, dans certains univers de science-fiction. Les robots sont alors les seuls signes de vie. Sur la musique du Trio pour violon, piano et violoncelle de F. Schubert déjà reprise dans Barry Lyndon de S. Kubrick, ils tentent un élan vers l'autre, mais semblent eux aussi surveillés de toutes parts par plusieurs paires d'yeux de lumière bleu sombre suspendus au ciel qui évoquent le panoptique de J. Bentham : les projecteurs sont situés sur la partie inférieure des plate-formes mouvantes. Pourtant, effets secondaires de leur rencontre avec Mylène, ils continuent d’irradier cette lumière rouge, symbole du sentiment, du désir naissant : il pourrait bien s’agir d’une scène de rencontre amoureuse (entre robots !), dans la mesure aussi où le même morceau de Schubert est utilisé par Kubrick pour magnifier la scène de rencontre entre Barry Lyndon et sa future épouse. On pourrait dès lors y voir l’interlude d’une autre rencontre amoureuse qui a lieu cette fois entre deux être humains : Mylène F. et Gary Jules sur la chanson suivante : « Mad world ». Pour en revenir aux robots, certes ils semblent méfiants mais ils sont surtout curieux, ils s'apprivoisent et quand l'amour est là, conscient et mutuellement ressenti, ils dansent soudainement la joie d'être aimé, malgré cette surveillance, sur une musique dubstep dont les arrangements évoquent des bruits « robotiques ». Ils changent de couleur au gré de leurs émotions : heureux de cet innamoramento, ils sont multicolores de même que les faisceaux de lumière les entourant, de plus en plus nombreux qui jaillisent de toutes parts. A cet instant, même les yeux de surveillance semblent entrer dans la danse et oublier leur mission orginelle pour partager un moment de joie.
?
L’animal est-il là au sein de la dystopie ? Oui, mais il est une sorte d'hologramme recréé par des faisceaux de lumière jaune croisés pour marquer un moment d’amusement ; il n'a plus d'existence réelle. Sur le tableau « Monkey me »,  il génère cependant un moment de joie, en liaison avec thème de la chanson qui évoque une rencontre entre un animal prisonnier (en attente d’être adopté dans une animalerie) et une femme, et le sentiment quand leurs regards se croisent. Elle semble se reconnaître en lui, éprouver de l’empathie pour sa souffrance,  se sentir elle-même prisonnière, d’où la nécessité d’adopter l’animal pour le libérer. Sur le tableau « Monkey me » du concert, on peut observer sur l’écran des pointillés disposés en cercles concentriques qui rappellent une cible : moment de jeu ou représentation du système solaire ? Les guitares couvertes de leds sur ce titre, donc lumineuses, symbolisent la joie associée au singe dans la mythologie japonaise, la chaleur, la vie au sein de la dystopie comme le marquent les couleurs chatoyantes, solaires (rouge, jaune or) du tableau. Sur certaines dates, 3 guitares sont équipées de leds lumineux : pour symboliser chacune un des trois singes de la sagesse ?

Mais qui est l’Autre ? L’homme lui… Où se cache-t-il ? Dans cet univers, il peut n'être qu'une image que l'on  décompose, que l'on diffracte à l’instar de Moby sur le tableau « Slipping away ». Sa voix semble enregistrée - en particulier au début sur « all that we needed was right » - sur une vieille bande retrouvée, seul vestige d'un passé disparu, thématique récurente dans les films et séries de science fiction. Et de fait, Moby n'est présent sur scène que par la voie (et la voix) d'un enregistrement ; il est habillé comme nous le sommes aujourd'hui au 21ème siècle, passé révolu dans cet univers du futur. On peut rappeler à cet égard que le clip originel de la chanson constitue également un voyage dans le temps : on y retrouve des photos des années 70, des photos de Moby et Mylène bébés. De la même façon, la coiffure très XVIIIème siècle de Mylène sur des costumes futuristes signifie la fusion des époques passées et futures pour saisir l’éternité (Timeless). A ce titre, elle est à la fois présente sur l'écran de Moby, renvoyant au passé, et sur scène (monde futuriste), images du passé qui sont en danger dans l’univers dystopique : « les ombres ce soir nous menacent ». Mais celles-ci maintiennent leur lumière et leur joie : le sous-titre de la chanson n’est-il pas « Crier la vie » ? De même, les colonnes antiques des décors latéraux et la porte des étoiles futuriste, la musique de Schubert qui devient du dubstep, les danseurs portant un sweet shirt très moderne et un bas blanc à la mode « antique » sur « C'est une belle journée » (« mordre l’éternité à dents pleines ») ; images d'ampoules (inventée au XIXème siécle) et de roues (inventées au IVème siècle avant notre ère) sur « Je taime mélancolie »  : tout ceci sonne comme un mélange des époques passées et présentes, ou d'époques passées. Passé…

Lorsqu’il est fait de chair et de sang, l’homme est l’objet d’un spectacle-défouloir, objet de désir, sur « Oui mais non », où la chorégraphie virile et les costumes des danseurs semblent évoquer l’esclave ou le gladiateur désarmé ou le lutteur, jeté dans l’arène d’un jeu du cirque  équivalent à celui de l'Antiquité romaine. On y développe la même martialité quitte ou double : comme on levait la main pour décider de la mort de quelqu'un, MF sur son fauteuil décide qui elle garde et qui elle rejette parmi ces hommes qui paraissent se lover autour d'elle. Est-ce une référence à l’œuvre dystopique rattachée à la littérature de jeunesse Hunger Games ? Cette situation, rapportée au thème « ère du toc », société du spectacle, de la superficialité et de l’anti-nature de la chanson (« la nuit se couche les yeux rougis, l’aube est morose ») rappelle l'assimilation courante réalisée entre les anciens jeux du cirque et la télé-réalité actuelle qui choisit de se débarrasser des participants en déficit de popularité. On peut aussi en rapprocher le thème de la surveillance permanente très dystopique par exemple dans 1984 de G. Orwell. A ce titre, les ombres chinoises, tour à tour noires ou blanches (ou les deux) au détour des portes de l’arène qui s’ouvrent et se ferment, sans cesse renaissantes, semblent signifier la multiplicité des peuples (conquis) réunis comme objet de spectacle au sein des Ludi. Leur forme et leurs mouvements rappellent dans leur agencement les amphores grecques ou les frises de l'Egypte antique. D’ailleurs, les doubles blancs des personnages, évanescents, qui volent, en arrière plan, d’une frise à l’autre, de corps en corps, de réincarnation en réincarnation, rappellent les « kâ », doubles spirituels de  chacun être humain, naissant en même temps que lui, dans la mythologie égyptienne. On se souviendra que MF avait déjà utilisé une statue représentant le visage et les mains de la déesse Isis pour son spectacle Mylenium Tour. Ces personnages miment, parfois en décalé, les mouvements des danseurs. Sur certains de ces mouvements, on croit voir se démultiplier un instant leurs bras, comme de nombreuses figures mythiques grecques, dont les Hécatonchires. D’ailleurs la même impression d’observer une créature chimérique se retrouve, quand, à l’image de certains danseurs, un personnage se renverse en montant sur le dos d’un autre. Surtout, ils semblent reproductibles à l'infini et presque sans identité, looking for their names (« mon cœur/mon corps sous X »), ce qui pour Walter Benjamin est un signe d'une modernité ambiante destructrice de la rareté d'une œuvre et de son authenticité (les mouvements de MF eux ne sont pas mimés) : « pour l’authentique, on traque du stock ». Ainsi, émerge sur la fin, lorsque disparaissent les ombres chinoises reproduites à l’infini la tête en haut, une figure seule, « rare », la tête en bas elle : donc anormale, folle - donc voix de la vérité, dervé médiéval, bouffon shakespearien (in, par exemple, Le Roi Lear) : « destins fragiles et monde hostile, on devient fou ». Cette silhouette « à l’envers » marche vers le fond  avant de disparaître à son tour, comme un espoir de sortir de l’uniformité par son non-conformisme : « ode à la vie ». Ici, le rapprochement entre passé, présent et avenir au sein d'une même réalité, LE thème de la tournée Timeless, se dessine encore : « du tac au tac, changeons d’époque ».

En contraste, l’homme venu d’ailleurs est l’objet de l’amour véritable dans Timeless. Amour d’adultes en un premier temps sur la partie « piano/voix » du concert. La seule relation humaine pour Mylène est passagère : Gary Jules apparaît sur scène dans l'obscurité et surplombé de faisceaux formant une colonne (un tunnel ?) de lumière vertical et blanc qui le transforme d'emblée en homme-ovni. Comme Mylène, il vient d'ailleurs, il n'appartient pas à ce monde dystopique, d’où le fait qu’il le qualifie de « mad world » et qu’il enjoigne ceux qui l’écoutent à s’ouvrir l’esprit : « enlarge your world ». Il devient dès lors le seul amour possible pour celle qui elle non plus « n’[est] pas de ce monde ». Les faisceaux de lumière blanche en biais qui se rejoignent entre eux deux au moment des duos marquent peut-être la rencontre de deux itinéraires de vie qui à ce moment se croisent. « Mad world », duo totalement inattendu car hors répertoire de la chanteuse, référence au film Donnie Darko de R. Kelly, et à sa thématique si mylénienne de l'ami imaginaire et du voyage à travers le temps futur et passé et les dimensions (au centre du spectacle Timeless) serait dès lors le moment de la rencontre amoureuse. L’intimité à deux est recréée par 12 lumières bleues à l’avant-scène. « Les mots », le titre suivant, correspondrait au moment - magnifique - où l'on apprend à se connaître par le partage des mots (« I will tell you (…) how we could with a word become one »), les voix qui se mêlent, la main prise, la caresse sur l’épaule voire le baiser sur certaines dates de la tournée. L’intimité se fait plus forte : les deux êtres sont au milieu d’un cercle de carrés lumineux bleux et et de sphères tout aussi lumineuses violettes. L’amour naissant… On peut remarquer une inversion proprement dystopique sur les visages filmés à l'écran : magnifique sépia noir et blanc sur « Les mots » pour symboliser l'amour à deux, couleurs vives sur « Je te dis tout », associées à l'amour fini et à Mylène seule. En effet, en commençant le refrain par « si d'aventure je quittais terre », elle permet au doute de s'installer. Elle projette de quitter cet univers (parce qu’il la rend malade ?) comme elle le fera à la fin du concert, en laissant Gary qui n'est déjà plus présent : elle fait sa déclaration d'amour à un absent. Belle résonance avec le thème originel de la chanson, interprétable comme l’aveu d’amour à un enfant tant voulu mais qu’on a jamais eu, peut-être parce qu’il est mort-né (« héritière passagère » ou « tu es mon sang » - homophonie « tué mon sang »), peut-être parce que l’enfantement tel qu’il se fait normalement est interdit dans certains univers dystopiques, pour contrôler les naissances, éviter la profusion des classes miséreuses, laborieuses, dangereuses. Cet enfant perdu est-il la raison de l’absence de Gary ? Le déploiement de l’amour sur « Les mots » occupait l’ensemble de la scène ; ici, point de suture, noir sur la scène (au début) pour accentuer l’absence, traversé de sept rayons blancs protecteurs, et repli de Mylène avec son pianiste sur la partie droite de la scène, comme si la musique sauvait de tout. « Et pourtant » signe la rupture de la relation  - à cause de cet enfant non né ? : « mais tes lèvres ont fait de moi un éclat de toi », dit-elle à Gary, toujours absent - et ce même si l'amour persiste, signant la nécessité du départ. A ce moment, l'outro de « Et pourtant » confié à Yvan Cassar seul sur scène semble signifier que si l'amour est terminé, la musique survit et fait renaître. Alors que la musique gagne progressivement en intensité et en beauté, la scène sombre fait place à une lumière de plus en plus intense, statique puis mobile, qui éclaire la pianiste seul puis l'ensemble de la scène. La vie nous est redonnée par la musique.

Si l’amour d’adultes n’a pu donner lieu à la naissance d’un enfant, celui-ci apparaît tout de même, venu du public, donc d’en dehors de ce monde représenté sur scène : sur « A l’ombre » pour annoncer le renouveau à venir ou « XXL », chanson centrée sur le besoin d’amour de la femme,  quelque soit le monde d’où elle vient. Les vaisseaux projetant des rayons formant des X, des images de MF et de ses guitaristes, de leur complicité, marquent à nouveau les moment de joie apportés par l'amour et la musique là encore  - comme sur « Et pourtant », mais cette fois le musicien n'est plus seul. Le moment est idéal pour faire entrer sur scène, dans son univers, un enfant, par exemple celui, très mignon, du 11 septembre 2013. Ce contact amoureux avec le hors scène est élargi à l’ensemble du public dans le tableau « Bleu noir » où Mylène chante sur une nacelle mobile qui traverse l’ensemble de la fosse, et ce en liaison avec la thématique de la chanson i.e la vie vaut la peine d’être vécue pour les relations profondes que l’on y noue : « mais la vie qui m’entoure et me baigne me dit quand même ça vaut la peine » « la bataille est belle, celle de l’amour disperce tout ». Faire chanter au public le premier couplet du titre « Maman a tort » participe du même élan : « deux, c’est beau l’amour » « huit, j’m’amuse ».

Au sein de la dystopie au contraire, l'amour est enserré dans un halo de lumière blanche clinique, aseptisée, sur « Elle a dit », une lumière qui ralentit le mouvement, comme s’il n’y avait pas d’ailleurs : « La peur de ne pas savoir où aller qui nous attache à cette terre ». On peut y voir un écho des paroles de la chanson : « soins intensifs », « pour le plus petit mot qui a guéri » ou « dans son cerveau, deux hémisphères » comme pour rappeler l'organisation encéphalique de l'homosexuel est la même que tout un chacun à rebours d'une époque passée où l'on considèrait l'homosexualité comme une maladie mentale se manifestant par des difformités encéphaliques ou cardiaques. A l’inverse ici, même la femme lesbienne a « le cœur à l’endroit ». On peut rapprocher ce moment de celui, également aussi, dans Timeless, où les danseurs se libèrent de leurs camisoles de force sur « Désenchantée ». On peut observer aussi des jeux sur le croisement de lumières de couleur violette, les cônes, les ovales jusqu’à former à la fin un visage difforme à la « Psychatric » de la même Farmer (cf. la référence de cette chanson au film Elephant man de David Lynch). En dessous, les mouvements en spirale des lignes de lumière blanche se font plus rapides, comme si les faisceaux lumineux se mettaient à danser.
Dans la même mouvance, mais plus clairement, « Désenchantée » permet de se focaliser sur les marginaux, les révoltés, les prisonniers politiques, les dissidents de cette dystopie : « tous mes idéaux, des mots abîmés ». Ceux-ci sont figurés par les danseurs. Avec la sorcière Mylène, ils sont enfermés hors du regard des « normaux », sur une planète hostile, rouge, peuplés d'insectes menaçants, veuves noires, gardiens lugubres des prisonniers exilés : « je n’ai » in « je n’ai / trouvé de repos que dans l’indifférence » est isolé lorsqu’il est chanté de son participe et complément ; on peut y voir une homophonie avec « Genet », Jean Genet, dramaturge prisonnier. Ces gardiens monstrueux (sont-ils les doubles maléfiques de la sorcière Mylène ?) opèrent par leur gigantisme rapporté à la petitesse de l’homme, un renversement proprement dystopique : « quand la raison s’effondre », « plus rien n’a de sens » « chaos ». Les prisonniers sont vêtus d'une camisole  blanche qui les déshumanise en particulier au niveau des bras, croisés, et des mains, gommant les aspérités de ces potentiels outils de révolte, les ramenant ainsi à des individus uniformes : « du presque rien à qui tendre la main ». D’abord recroquevillés, leurs mouvements sont ensuite léthargiques, comme calibrés, endormis, sans avenir : « nager dans les eaux troubles des lendemains ». La première image du tableau qui montre une pluie vue d'en-dessous donne d’emblée la sensation de l'enfermement ; cette pluie, qui tient à la fois de l'eau, de l'étoile et de l'insecte envahisseur, et ressort sous un ciel rouge Mars, pollué, irrespirable (« flotter dans l’air trop lourd »), semble ensuite s'engouffrer dans un trou noir (« si je dois tomber de haut, que ma chute soit lente »), par où on accède à la prison-toile d'araignée. Un point de rupture se constitue quand les danseurs parviennent à se libérer grâce à l’arrivée de la sorcière Mylène : « je cherche une âme qui pourra m’aider » « à quel sein se vouer, qui peut prétendre nous bercer dans son ventre ». Ils entament alors une danse endiablée, comme une libération de pulsions longtemps réprimées. Le gardien arachnéide en backdrop semble entamer alors une course effrénée pour les rattraper. L'araignée semble particulièrement menaçante à la fin du pont musical de la chanson où elle semble au-dessus des danseurs, prête à fondre sur eux. A la fin, la prison de toiles est percée prête à laisser libres les prisonniers et s’effondre petit à petit, de même que son gardien-araignée. La parenté de ce tableau avec le clip vidéo d’origine de la chanson, mettant une scène une révolte dans un camp de concentration, est clair.

Cette sorcière de « Désenchantée », nous la retrouvons sur « Diabolique mon ange ». Si la croix sur la nuque de Moby (« Slipping away ») semble renvoyer l'idée de religion, de spiritualité, elle aussi, à un lointain passé, de même que sur la partie piano-voix du concert, la croix très discrète sur l'échancrure de la robe pailletée d'étoiles de MF, elle signe surtout définitivement le rejet de la religion dans cet univers, en dehors de ceux qui tiennent encore quelque chose du passé : Moby, MF. Or, dans ce monde, la sorcière, érigée comme telle car elle confesse dans les paroles de « Diabolique mon ange » être amoureuse sans retour de son ange gardien, mais d’un ange diabolique, donc du diable lui-même (peut-être lui a-t-elle-même demandé la jeunesse éternelle : « temps j’ai maudit ton corps »), cette sorcière donc reste peut-être la seule porteuse d'une spiritualité sincère et réelle. Le prouvent les faisceaux de lumière blanche formant une croix qui prend ses racines autour de la Mylène-sorcière au début du tableau et surtout sa voix particulièrement éthérée sur ce titre. Elle aussi cependant est traquée par des vaisseaux rouges diable qui dominent la scène  - dans cette dystopie, le diable, loin d'être confiné sous terre, domine le ciel - et se rapprochent dangereusement d'elle, infernalisant toute la scène. On peut estimer que la religion est pervertie puisque la dite croix blanche qui la symbolise est en fait générée par l'un de ces vaisseaux diable : pour attirer la sorcière en la trompant ? Le croix disparaît alors, se muant en phares de traque à mesure que le dit-vaisseau se rapproche de Mylène pour l'emporter. Ce même vaisseau, en se mettant en position verticale, évoque une porte rouge (elles seront au nombre de 4 ensuite) - vers l'enfer sans doute : les projecteurs présents sur ce « vaisseau » diffusent des lumières qui s’apparentent à des yeux rouges diaboliques, et de petits tentacules. Après la pause musicale du titre, la sorcière Mylène est totalement nimbée de lumière rouge, comme aspirée par l'enfer - et elle continue pourtant à chanter avec force, peut-être avec plus de force encore, sans s’effondrer, pour montrer la résistance de sa foi. On peut dresser un parallèle avec le titre d’avant « Bleu noir » qui, clip à l’appui, évoque l’idée selon laquelle on verrait sa vie défiler au moment de mourir : à la fin du clip, l’héroïne rejoint trois lumières représentant 3 êtres chers perdus qui l’attendent dans l’autre monde. Les flammes vertes qui jaillissent du sol puis du ciel sur le tableau « Diabolique mon ange » de Timeless soit renforcent cette dimension infernale, soit évoquent au contraire la renaissance et l'éternité lorsqu'elles sont associées à l'ange, comme dans la poésie et la peinture symbolistes : le thème de la tournée Timeless est l'éternité. Renaissance il y aura donc - la croix de lumière blanche revient à la fin du tableau - sous une autre forme, en costume rouge lors du tableau suivant « Sans contrefaçon » : Mylène revient-t-elle de l'enfer ? A-t-elle dès lors vaincu le diable en elle ? D'ailleurs, les cinq soleils de « Bleu noir » reviennent à ce moment précis, non plus blancs, mais jaunes or, plus puissants, regaillardis par cette renaissance dans un tableau faisant référence au pays du Soleil levant, donc naissant ou renaissant et qui accueille, après « Sans contrefaçon », le tout premier titre de la carrière de Mylène, celle qui la fait naître en tant que chanteuse : « Maman a tort ».
« Sans contrefaçon » ? Des dystopies toujours… « Dans ce monde qui n’a ni queue ni tête », apparaissent des simili samouraï, guerriers rouges de la planète Mars, au double sens du dieu grec de la guerre et du sang versé au combat et de la planète rouge : « prenez garde à mes soldats de plomb, c’est eux qui vont tueront ». En outre, la porte des étoiles du décor figure alors un soleil rouge. Chorégraphie superbe, chapeau bas pour le maniement acrobatique des bâtons et la transformation de la porte des étoiles et des vaisseaux en soleils - cohérent avec la thématique japonisante « pays du soleil levant », « empire ». Le maniement des bâtons (-phallus ? - voir le thème de la chanson : « un mouchoir au creux du pantalon, je suis chevalier d’Eon ») évoque aussi la forme arrondie du soleil ; à la fin du titre, les danseurs-guerriers disposent les bâtons autour de Mylène à la manière d'un soleil. Cela explique aussi le costume rouge de Mylène, très capitaine de vaisseau manga Albator/capitaine Flam, auquel ses soldats rendent hommage en unissant leurs bâtons pour lui constituer un trône : une marque de leur communion et de leur respect, valeurs traditionnelles du samouraï. On peut rapprocher cela du titre « Tomber 7 fois » répété pour le concert et finalement écarté de la setlist qui reprend un haiku japonais célèbre : « Et si tu tombes 7 fois, toujours se relever 8 ». Cet haïku fait référence aux samouraïs itinérants qui devaient surmonter 7 épreuves avant d'être considéré comme des samouraïs à part entière. Sur le tableau de « Sans contrefaçon », on compte également 7 personnes dansant sur l’avant-scène (Mylène + 6 danseurs). Cette chorégraphie japonisante était-elle donc à l’origine prévue pour ce titre ?

Soudain, « Je t’aime mélancolie » nous donne son ivresse comme personne… Le tableau permet d’approcher un élément dystopique essentiel : la nature a disparu remplacée par la « mauvaise herbe » des paroles et des ersatzs d'industrie, dans un univers rougeâtre et désertique qui rappelle toujours Mars. Le backdrop se concentre d’abord sur une  ville qui évoque les métropolis modernes - référence peut-être au film de Fritz Lang dont on connaît aussi l'adaptation en manga pour faire le lien avec le tableau précédent. Mais cette ville est comme rendue informe par un brasier. Elle est peuplée de créatures composites mi-homme mi-machine : images de silhouettes ou de visages humains au cerveau mécanisé, remplacé par des mécanismes d'horlogerie avec l'allusion au temps qui sous-tend aussi la tournée Timeless et que l’on retrouve sur la vision d’une horlogerie monstrueusement noire dont les tentacules semblent s’insinuer partout comme un « dieu sinistre, effrayant, impassible ». Ces personnages paraissent surtout uniformisés, sans identité propre, comme si l'homme était ramené à sa seule fonction productrice, sans possibilité de réfléchir, de s'élever par l'esprit ou d’aimer : on aperçoit au détour d’un plan l’image d’un cœur entouré de bouches mécaniques rappelant l’ouvrier à son travail ou évoquant peut-être encore le thème de la surveillance généralisée. Ces personnages sont d'ailleurs assaillis par des seringues qui paraissent absorber toute veilleité de rébellion, puis par des ciseaux, puis par des capsules qui insufflent peut-être en échange un prêt-à-penser : ces images rappellent les célèbres scènes en ce sens dans Orange mécanique du même Kubrick. Malgré quelques plans où les silhouettes semblent se tenir la main -  marque d'une certaine solidarité - ou échanger quelque liquide bizarre (« l’élixir de [leurs] délires »), on remarque surtout une allusion aux supplices antiques de figures mythologiques condamnées pour leurs méfaits à être précipitées dans le Tartare (région des Enfers grecs) et à y revivre sans cesse le même châtiment : en particulier aux figures d'Ixion et de Sisyphe. Ici, des silhouettes d'hommes semblent condamnées à courir éternellement sans s'arrêter au sommet de roues géantes  roulant elle-mêmes sur les flancs d'un mont pyramidal d'où sortent des coulées de lave (pour ramener le tableau à l'image de la planète Mars). Le rapprochement est possible avec Ixion condamné à demeurer attaché à une roue géante qui roule sans cesse et Sisyphe qui doit pousser un rocher énorme jusqu'au sommet d'une colline ; le rocher si tôt arrivé au sommet retombe systématiquement de lui-même au pied de la colline, condamnant Sisyphe à le remonter sans cesse. Là encore, le lien entre des thèmes antiques et modernes est dressé à l'image du travail de A. Camus qui à travers l'exemple de Sisyphe, entre autres, qu'il considère comme une image de la condition de l'homme moderne, entend dresser les permanences entre l'imaginaire antique et la réalité contemporaine : « je savoure la nuit l’idée d’éternité ».

Dans le même ordre d'idées, toujours sur « Je t’aime mélancolie », l'industrialisation effrénée n'aboutit à rien puisqu'elle sert à construire des engins de mort : machine ambulante qui évoque un lieu de pendaison par couperet avec suspendus serpes et marteaux - symboles du communisme soviétique. Elle permet de mettre au point des engins de répression (gants de boxe sur ressort avec aussi une allusion au clip de la chanson de ce tableau) ou encore des machines occupées à un travail vain et inutile : machines à roues dotées de ciseaux géants mobiles servant à la culture d'une terre aride, bateau au sein d'une mer rougeâtre vide ou peuplée de squelettes de poisson, allusion au travail à la chaîne tayloriste (et à sa symbolique chaplinesque) avec ces bouteilles fabriquées en série qui explosent avant même d'être terminées. Plus loin, les visages humains eux-mêmes toujours indéfinissables semblent être produits en série. A noter que les premières dystopies sont nées avec l'industrialisation - destructrice parce qu’irrespectueuse - du XIXème siècle, révolutions industrielles dont l'une a été marquée par une découverte essentielle : l'électricité, ici représentée par une ampoule qui s'allume et s'éteint au milieu d'un visage vaguement défini. On peut y voir une référence à La machine à explorer le temps de H. G. Wells par exemple (encore la thématique du temps!), où une partie de l'humanité fragile vit en haut, grâce au travail acharné et épuisant (« un long suicide acide ») d'une autre, physiquement imposante, qui vit en bas. De même, le backdrop de « Je t'aime mélancolie » met en valeur, sur la fin, la partition de cet univers en deux mondes : en haut la cité moderne (mais décadente) à la Fritz Lang, en bas une zone aride laborieusement exploitée par d'étranges machines et qui permet au monde d'en haut d'exister. La thématique socialiste marxiste d'exploitation de l'homme (ouvrier) par l'homme que cela suppose pour Wells, très engagé à gauche, explique peut-être, toujours sur le même tableau de « Je t'aime mélancolie », la présence, au détour d’un plan, au loin, d’usines trop fumantes et surtout de danseurs musculeux torse nu, « humide[s] », peu souriants et qui, sur l'outro musical qui leur est consacré, semblent parfois mimer le mouvement d'une manivelle ou d'une roue. On peut se référer aux représentations de l'ouvrier qui travaille dans la peinture du 19ème siècle - préraphaélite par exemple.
Dans ce monde d’hommes, la femme, la seule qui subsiste, est traquée par la machine qu'elle soit sorcière donc reliée à l’infra-monde (vaisseau « Diabolique mon ange »), ou femme des classes supérieures, en costume, « croissant[s] de lune », « filles de l’Histoire, rares », en particulier quand elle crie son besoin d'amour. Sur le tableau « XXL », la porte des étoiles mûe en OVNI très Rencontre du troisième type se rapproche ainsi dangereusement de Mylèno-Truffaut, avec le risque pour la machine envisagée comme l'ennemi de l'homme que cette femme perpétue la race humaine via l'enfantement, « en bulle ». Si l’homme peut-être gladiateur-lutteur-esclave (« Oui mais non »), soldat (« Sans contrefaçon ») ou ouvrier (« Je t'aime mélancolie »), il peut aussi appartenir aux classes sociales supérieures comme le signalent les costumes smoking des danseurs sur « A l'ombre ». Mais dans ce cas-là, à l’image de la performance à la Francis Bacon d'Olivier de Sagazan sur le backdrop, l’homme a le visage et le corps décharné, rongé par son oisiveté (d'où les ralentis sur le backdrop?), par la culpabilité et l'exploitation de son semblable. On sait que le rapport de classe est cher à Boutonnat comme le montrent le clip Tristana et le film Jacquou le croquant… L’homme d’« A l’ombre » a pu être rendu tel par une quête perpétuelle de jeunesse qui a échoué et qui au contraire accélère la dégradation, l’ « automne » des corps : « las de cette vie trop brève, on devient l’ombre de soi-même » « le diable harcèle mes lendemains », et toujours le thème de la tournée « Timeless ». Voir aussi à ce sujet, évidemment, le clip du titre réalisé par Laurent Boutonnat ou les paroles d’ « XXL » (même costume) : « des monts de Saturne » (la planète) avec l’homophonie « démons de Saturne » (le dieu du Temps, qui dévore ses enfants). Au début du tableau « A l'ombre », les soleils blancs de « Bleu noir » semblent tombés à terre, mourants et remplacés par des soleils rouges comme le sang, symbole de décadence, de dégénération, sang qui finit par engloutir Olivier de Sagazan jusqu'à recouvrir tout l'écran de fond de scène à la fin du titre. La pseudo-élite semble mourir dans son propre sang à l’image du roi Charles IX dans le film La reine Margot de P. Chéreau. Mais à la fin, les soleils blancs réapparaissent (espoir), de même que des bulles de savon-fumée (jeu-joie fragile) qui envahissent la salle. Bulle de chagrin ? Non, bulle de joie ! Quel meilleur moment pour dire « bonsoir » à la salle ! Le spectacle est fini ? Que nenni… Le noir se fait. Et déjà la salle tremble des bruits de pieds qui frappent le sol dans les gradins…

Et là voilà qui revient pour le rappel, pour un dernier sourire, pour  les deux dernières chansons du spectacle. « Inséparables », la première, est une chanson très belle par sa simplicité sur une rupture amoureuse, qui là prend une tout autre dimension : rupture avec la dystopie, création d'un nouvel univers. La ronde est-elle si triste ? Pas si sûr… Le backdrop nous montre une sorte de retour au chaos primitif - au sens grec - des temps pré-mythologiques, annonciateur de renouveau, où tout est en désordre (« nos anges sont à genoux »), tout est mélangé, mais où tout naît, renaît, finit par se différencier peu à peu. Le backdrop d’un bleu et blanc lumineux, semble jouer sur la fusion des éléments naturels, neige, océan, ciel, meute de chiens, qui paraissent jaillir sous l'action de vieilles divinités marines (« l’onde » : Nérée ?) ou célestes (« l’aile » : Ouranos ?) dont on aperçoit seulement les visages, au regard bleu perçant,  parmi les phénomènes atmosphériques : « je voudrais que l’on donne au bruit le souffle de nos vies/la douceur de l’été ». A moins que la meute de chiens jaillissant des blocs de glace ne soit celle qui conduit le char d'un dieu céleste. Ces images de dieux païens associées à celles s'apparentant à des tests de Rorschah mais qui sont plutôt proches de croix chrétiennes (voire de plans de nef), peuvent symboliser la fusion des religions monothéistes et polythéistes au sein de la nature, en particulier sur le finale musical de la chanson où elles apparaissent superposées. Après le show « païen » en 1999-2000 et le show « chrétien » en 2006, les deux univers ne forment ici plus qu’un. A la fin, les divinités païennes ont disparu ; l’écran est occupé par trois de ces croix mouvantes : pour rassembler les trois religions du Livre ? C'est dans ce cadre que s'amorce le départ de la femme arrivée en ce monde sur son vaisseau au début du spectacle : « je sais là que c’est le signe, tout s’arrête ici ». Elle s'avance en robe princesque nimbée de lumière bleue, la même lumière bleue que celle de son unique œil visible sur l’affiche de la tournée ou sur les colonnes latérales au moment de l’introduction du spectacle, la lumière bleue du renouveau qui s’annonce pour ce monde stellaire et qui vient d’elle. Sa mission accomplie, elle salue les survivants de l'ancien monde dystopique : les robots… qui l'entourent pour lui rendre hommage et même se prosterner devant celle qui a su les apprivoiser comme elle s’est agenouillée face à son public. La lumière bleue jaillissant de leurs yeux et de leur « corps » ne fait plus d'eux des traqueurs, générant une lumière artificielle, mais des moyens de propager la lumière de la nature retrouvée, dont, bien que robots, ils font désormais partie. D'ailleurs la musique, qui suit leur mouvement, absolument magnifique à mon avis, n'a plus rien de robotique, et donne elle-même l'impression de l'éther (claviers), voire du tonnerre (batterie) : « rêvais d’un songe éternel accroché au mien… ».

Vient « Rêver », le moment du départ, où il faut « change[r] de ciel », l'ultime chanson du concert, l'hymne à la tolérance, mais qui signale tout de même la fragilité du nouveau monde créé et la nécessité d’un agir ensemble pour le préserver : « les anges (…) nous laissent comme un monde avorté, suspendu pour l’éternité, le monde comme une pendule qui s’est arrêtée » - la symbolique du temps-éternité/Timeless est bien toujours présente - « dansent les flammes, les bras se lèvent ». Le faisceau de lumière blanche vertical qui partageait l’écran dans « Inséparables » demeure et est rejoint par deux faisceaux en biais, blancs également, pour former un triangle de lumière.  La configuration lumineuse était déjà présente à l'arrivée de Gary Jules ; elle symbolise le passage qui se crée vers un autre univers : pour accueillir Gary au début de « Mad world », pour laisser partir Mylène ici. Les robots se retirent. Soudain, des lignes de lumière blanche semblent former comme une étoile en 3 dimensions autour d'elle (un vaisseau?) ou le faisceau des âmes reliées entre elles dans ce nouveau monde et qui réapparaît à la toute fin du spectacle : « d’avoir mis son âme dans tes mains ». A la fin de la chanson, le départ d'une fusée est suggéré par la montée vers le ciel de la porte des étoiles générant un énorme halo de fumée qui recouvre toute la scène au milieu d'une lumière bleue et au sein duquel l'héroïne se volatilise.? L’allusion à la fusée de « Rêver » lors de la tournée en 1996 est claire. Elle laisse le vent emporter tout…

Pour terminer, sur l’ensemble du spectacle, il faut souligner que, pas de doute, c’est un spectacle très réussi. Chaque membre de l'équipe sur scène a son moment privilégié, où l'attention est concentrée sur lui, marque de partage et de respect infini pour tous les acteurs du show : Gary Jules chante presque seul sa chanson « Mad world », le public chante presque seul le 1er couplet de « Maman a tort » ; il y a l’outro musical de « Et pourtant » qui met en valeur le pianiste Y. Cassar, l’outro de « Je t'aime mélancolie » pour les danseurs, l’outro de « Diabolique, mon ange » pour tous les musiciens et les choristes, la mise en avant des guitaristes sur « Monkey me » et « XXL » (et de l’un d’entre eux sur l’écran au milieu des « soleils » de « Bleu noir ») et bien sûr l'interlude robots. Chaque spectateur aura remarqué que les réorchestrations sont excellentes : « XXL » doux puis rock, « Sans contrefaçon » japonisant, « Je taime mélancolie » évoquant des bruits vaguement industrialisants... Mais surtout il y a cette magnifique transition musicale sans temps mort entre « C'est une belle journée » et « Monkey me », un vrai  fondu enchaîné musical,  hommage peut-être à 2001, odyssée de l'espace de S. Kubrick connu pour son fondu enchaîné au montage. Kubrick se sert de cette technique pour montrer le passage, grâce au monolithe, d'un monde peuplé d'une humanité primitive et de singes à l'univers spatio-futuriste. Dans Timeless, à rebours, semble s'opérer un retour dans le temps qui passe à l'inverse du vaisseau et des robots futuristes (« A force de », « C'est une belle journée ») au singe (« Monkey Me ») par la même technique du fondu, mais cette fois musical. Un concert sur l’éternité qui brasse l’ensemble du répertoire de la chanteuse depuis son premier titre jusqu’à son dernier album… Et la joie présente du début à la fin du concert, en particulier autour de son héroïne toujours souriante, comme un contrepoint à la dystopie et le signe d’un espoir toujours vivant. Qui a dit qu’elle, Laurent B. et toute leur équipe n’étaient pas capables de se renouveler tout en gardant leur identité ? Où s’arrêtera le pinceau d’écume ? Jamais, puisqu’elle est éternelle…  

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