Interview pour le
magazine "Gala" publiéé alors que
Mylène n'a aucune actualité ni promotion.
Elle venait de terminer quelques mois avant le tournage du film Ghostland (qui
avait encore pour titre Incident
in a Ghost Land lors de cette interview). L'interview est
illustrée de clichés inédits pris
quelques jours avant par la photographe Sylvie Lancrenon.
Gala : Il y a cinq mois,
vous avez terminé le tournage du film Incident in a
Ghost Land. Un thriller éprouvant
qui confronte une famille à des esprits malfaisants. Aucune
séquelle à déplorer ?
Mylène Farmer : Toujours le même cauchemar :
Pascal Laugier, le réalisateur, me poursuit inlassablement
avec sa caméra dans les couloirs de la maison du film !
(Rires) C'était impressionnant de le voir au travail,
d'observer comment il faisait corps avec son long-métrage.
Je garde un souvenir très fort de ce tournage et de "mes
filles" à l'écran.
Gala : Vous avez fait
confiance à un réalisateur,
récent dans votre galaxie, et vous avez endossé
un rôle inhabituel, celui d'une mère de famille.
Le tout, en langue anglaise. Vous aimez pousser les curseurs de la
difficulté ?
Mylène Farmer : Je ne parlerais pas de
difficulté, mais d'exigence. J'aime les projets ambitieux,
précis, qui demandent l'investissement de toute une
équipe pour un résultat encore inconnu... Il y a
une certaine beauté dans ce geste collectif. J'ai
accepté ce film, essentiellement parce que mon
rôle était très bien écrit
et parce que Pascal maîtrise remarquablement ce genre. Son
scénario est formidable. Me glisser dans la peau d'une
mère prête à défendre ses
enfants était un challenge, mais je l'ai finalement
abordé de façon assez naturelle, instinctive.
Quand le tournage a débuté à Winnipeg,
j'étais une actrice parmi les autres.
Gala : Revenir au Canada,
votre pays de naissance, a-t-il agité
quelques émotions ?
Mylène Farmer : Une immense émotion !
J'ai retrouvé la maison de ma petite enfance, à
Pierrefonds. J'ai pu en redécouvrir l'intérieur,
le jardin... Je suis également revenue dans ma
première école, tenue par des religieuses...
Alors
que j'empruntais la rue du Belvédère,
où j'ai grandi, la neige a commencé à
tomber. J'étais comme accueillie...
Gala : Ancienne
élève du Cours Florent et chanteuse
réputée pour vos clips
cinématographiques, comment expliquez-vous votre
rareté sur le grand écran ?
Mylène Farmer : Le destin est joueur.
Malgré ma timidité quasi maladive, j'ai
poussé la porte du Cours Florent. Puis, très
vite, j'ai rencontré Laurent Boutonnat et nos destins se
sont scellés. Nous partagions cet amour pour le
cinéma et la musique. C'est, je crois, ce qui nous a
poussés à tourner des clips d'un genre nouveau.
Et Laurent a vraiment réalisé de très
beaux clips. Pour le grand écran, les choses se sont
passées différemment. Je ne saurais l'expliquer.
Mais je ne crois pas, plus, qu'il existe des frontières
infranchissables entre les genres. L'époque est à
la disparition des vieux clivages...
Gala : Existe-t-il une
liste de rôles que vous auriez
laissés passer ?
Mylène Farmer : Quelques propositions et projets
fantômes, oui... (Sourire)
Gala : Qu'est-ce qui
prime pour vous : désirer ou se sentir
désirée ?
Mylène Farmer : Sentir le désir... C'est
fondamental pour moi. Vital, même.
Gala : Artiste
singulière et obsessionnelle, vous mettez-vous
facilement au service d'un autre imaginaire que le vôtre ?
Mylène Farmer : Bien sûr ! C'est
très excitant... À condition toutefois de pouvoir
rester soi-même... Quoi de plus imprévisible que
la
rencontre de deux imaginaires ?
Gala : Comment avez-vous
préparé votre rôle
dans Incident in a
Ghost Land ?
Mylène Farmer : J'ai travaillé. Claude
Berri m'a dit un jour : "Mylène, si tu connais ton
texte à la virgule près, ainsi que les
répliques de tes partenaires, tu pourras tout oublier et
t'abandonner." Depuis le Cours Florent, je suis amie avec Vincent
Lindon, qui m'impressionne infiniment dans chacun de ses
rôles. Son aide fut précieuse. Il m'a
conseillé son coach. J'ai
répété et puis... j'ai fait le
grand saut dans le vide !
Gala : Le jeu, c'est pour
vous un exorcisme ou, au contraire, une possession ?
Mylène Farmer : Etymologiquement, "jouer",
c'est "s'amuser, se divertir". En se glissant dans la peau
d'un personnage, cela devient "amuser et divertir". Il est
important de s'oublier soi-même pour offrir aux autres.
Quelles qu'elles soient, les émotions sont un transport,
elles permettent à chacun de sortir du temps. C'est une
promesse d'éternité. Un abandon, aussi. Ce fut le
plus exigeant pour moi. Je suis habituée à
construire, à mener à terme des aventures au long
court. Là, il me fallait tout oublier, me
déconstruire pour laisser le réalisateur
réassembler son puzzle.
Gala : Isabelle Adjani a
récemment déclaré :
"jouer, c'est réparer." Qu'est-ce que cela vous inspire ?
Mylène Farmer : C'est une définition qui
correspond parfaitement à cette grande actrice. Mais pour
moi... Je ne crois pas à la réparation.
Je dirais plutôt qu'on apprend à vivre avec soi.
Ce qui, déjà, n'est pas une partie de petits
chevaux...
Gala : Pardonnez la
question, mais la disparition de votre maman, quelques
mois avant de tourner avec Pascal Laugier, a-t-elle
influencé votre interprétation d'une
mère de famille ?
Mylène Farmer : Permettez que je ne vous
réponde pas directement. Chacun d'entre nous est
touché par des deuils. J'ai la chance de pouvoir
écrire sur "mes"' absents... Sans les nommer... Et de
pouvoir, par la magie des mots, aspirer un peu du chagrin des autres.
Gala : Isabelle Huppert,
que vous connaissez bien, a dit : "Être
actrice, c'est transformer en excellence ce qui ne l'était
pas : la fragilité en force, la timidité en
assurance." Cela vous ressemble, non ?
Mylène Farmer : J'ai beaucoup d'admiration pour
Isabelle Huppert, sa détermination, ses choix artistiques,
son jeu unique. Je ne sais pas si ses mots me ressemblent, mais je
partage son point de vue. Le dépassement de soi est un
minimum, lorsqu'on veut partager avec les autres. Vivre est une
aventure exigeant que l'on se réinvente sans cesse, sans
jamais se trahir, ni sacrifier aux modes. Je suis une instinctive et ma
timidité, que j'assume, m'a sans doute
protégée !
Gala : Vincent Lindon
rencontré au Cours Florent, Luc Besson qui
vous aurait fait figurer dans son premier film Le Dernier combat,
David
Lynch qui vous a initiée à la lithographie,
Claude Berri qui voulait vous diriger dans une adaptation d'un roman de
sa compagne Nathalie Rheims, mais encore Jean Rochefort, Robert De
Niro... Vous cultivez de nombreuses amitiés dans le
milieu du cinéma. Les acteurs sont plus fascinants que les
chanteurs ?
Mylène Farmer : Je ne cultive rien. La vie vous
permet de faire des rencontres et, encore une fois, je me fie
à mon instinct. J'ai peu d'être
présents dans ma vie, mais ils sont importants. Vous citez
des noms, mais il y en a d'autres. Les acteurs sont-ils plus fascinants
que les chanteurs ? Non. Il y a des personnes plus fascinantes que
d'autres, tout simplement. On pourrait ajouter à votre liste
nombre d'inconnus qui suscitent tout autant mon admiration.
Gala : Acteur et pop
star, est-ce si différent ?
Mylène Farmer : Le rapport au public est
très différent. Un acteur met son talent au
service d'un texte, d'un metteur en scène, de nombreux
intervenants, pour qu'un film rencontre son public en salles, puis sur
d'autres écrans... La scène, c'est une
énergie immédiate, électrique,
vertigineuse, qui se dissipe quand un concert est terminé.
Je
n'aime d'ailleurs pas le terme de "pop star". Il sonne comme
un bouchon de champagne un soir de réveillon ! (Rires)
Gala : Comme de
nombreuses jeunes actrices, Taylor Hickson ou Emilia Jones,
vos "filles" dans Incident
in a Ghost Land,
n'hésitent pas à mettre en scène leur
vie sur les réseaux sociaux. Cela vous intrigue, vous amuse
ou vous déconcerte ? Ont-elles tenté de vous
convertir ?
Mylène Farmer : Elles vivent avec leur
époque. Cela me paraît tout à fait
normal, mais nécessite aussi une plus grande vigilance sur
la frontière entre vie privée et vie publique.
Les nouveaux médias ont tendance à la rendre plus
floue. Quant à une conversion... Elles n'ont pas
osé, je pense ! (Rires)
Gala : Qu'est-ce qui vous
bluffe dans la vie ?
Mylène Farmer : Le courage.
Gala : Quelle est
l'émotion que vous maîtrisez le moins ?
Mylène Farmer : Toutes ! Par définition,
une émotion ne se maîtrise pas. C'est pour
ça qu'elles nous transportent.
Gala : Quels sont les
mots qui vous touchent le plus ?
Mylène Farmer : Les mots prononcés au
moment où l'on ne s'y attend pas. Je suis
fascinée par la puissance des mots portés par la
bonne personne, au bon moment. Et "Mon amour"
m'émeut tellement...
Gala : Vous avez
incarné Zézette dans une adaptation du
Père
Noël est une ordure au Cours Florent. Vos
proches vous disent capable d'humour. Jouer dans une
comédie, c'est pour vous envisageable ?
Mylène Farmer : La comédie est
probablement ce qui se rapproche le plus de la musique. C'est avant
tout une question de rythme. Je ne sais pas si j'en serais capable,
mais je trouve le défi intéressant. À
condition que ce soit finement écrit. Tout est dans
l'écriture. Woody Allen donc ? (Rires)
Gala : Le pire
scénario qu'on pourrait vous soumettre ?
Mylène Farmer : Un biopic sur ma vie...
Gala : La plus belle
réplique de cinéma dont vous vous
souvenez ?
Mylène Farmer : Ces mots de Romy Schneider dans
César et
Rosalie : "Ce n'est pas ton
indifférence qui me tourmente, c'est le nom que je lui
donne..." ("la rancune, l'oubli", poursuit l'actrice dans le
film, ndlr)
Gala : Quel couple ou
quelle histoire d'amour cinématographique
vous inspire ?
Mylène Farmer : Richard Burton et Liz Taylor, John
Cassavetes et Gena Rowlands.
Gala : Si votre vie
était un titre de film ?
Mylène Farmer : Rencontres du
troisième type ! (Rires)
Gala : Vous venez de
signer avec Sony Music. Vos fans attendent logiquement un
album et une tournée. Rassurez-les : le clap de fin de votre
carrière musicale n'est pas près de retentir ?
Mylène Farmer : Bien sûr que non... Il me
tarde d'ailleurs de les rejoindre.
Encadré associé à l'article au sujet
du Festival du film de Cannes qui se déroule au moment
où cette interview est publiée.
Mylène Farmer : C'est une institution qui permet
à la France de rayonner dans le monde entier. Gilles Jacob,
un ami, y a beaucoup contribué pendant de nombreuses
années. Aujourd'hui, il consacre son temps à
l'écriture de romans. C'est un homme si attachant. J'aime
son humour. Je ne me lasse pas de ses anecdotes sur le monde du
cinéma. Cannes porte une part de rêve, mais je me
souviens aussi
d'épisodes plus houleux, de moments d'émotions et
de déceptions. Pendant une quinzaine de jours, c'est un
spectacle vivant avec ses acteurs, son suspense, ses rebondissements.
Mais, dans le fond, je ne sais pas comment on peut décider
qu'un film est meilleur qu'un autre. Exercice difficile !