Interview
parue le jour de la sortie digitale de l'album Point de Suture.
C'est
le journaliste Benoît Cachin qui a
proposé cette interview pour "Têtu" à
Thierry Suc. Mylène a accepté. La "Une" aurait
été demandée. Apparemment, il
n'était prévu aucune autre interview pour la
presse écrite pour la sortie de Point de Suture
avant que celle-ci ne soit décidée.
L'interview s'est déroulée le 31 juillet 2008,
à 10 heures du matin, dans un salon du Park Hyatt, un grand
hôtel près de la place Vendôme.
(source: iao - hiver 2008/2009)
Grâce
à ce numéro le magazine Têtu a
réalisé sa troisième meilleure vente
pour l'année 2008.
(source: OJD / merci à Greg)
Cinq photos inédites de Robin
(réalisées entre le 15 et 30 juillet 2008) -
petit deal entre le magazine et Mylène: ok pour la "Une"
mais à condition que Mylène fasse un
clin d'oeil en posant en garçon - ce qu'elle a
immédiatement accepté, enchantée par
l'idée
Mylène aurait retenu environ trente photos de ce photoshoot.
D'autres seront utilisées pour le calendrier officiel
Mylène Farmer 2009.
Le journaliste n'avait reçu aucune consigne et
était libre de poser les questions qu'il souhaitait.
Mylène a refusé de répondre seulement
à de rares questions: son absence de collaboration avec les
photographes Pierre et Gilles, son souhait ou non de faire un duo avec
Etienne Daho, une éventuelle filiation avec Sylvie Vartan et
le projet avorté d'une collaboration avec Michel Polnareff.
Mylène a demandé à relire l'interview
avant publication (comme le font tous les artistes ou presque) mais
toutes les questions et réponses ont
été publiées intégralement.
(source: iao - hiver 2008/2009)
Vous
avez accepté de poser en garçon pour Têtu.
Cela vous plairait-il d'être un garçon "sans
contrefaçon" et sans "mouchoir dans le pantalon". Vous
voulez dire
un vrai garçon? Je ne sais plus qui a dit: "Le printemps, c'est la saison
à laquelle les garçons commencent à
peine à comprendre ce que les filles savent depuis le
début de l'hiver"... J'y pense tous les matins
en me rasant. (Rires)
Quel type d'homme aimeriez-vous être ? J'aimerais
être un homme terriblement sexy. {Sourire.} J'aime
l'élégance.
Qu'est-ce qui vous séduirait chez les
femmes ? Leur
imprévisibilité. C'est ce qui transforme le
quotidien en aventure et la vie en destin.
Vous qui avez chanté "J'aime
l'infirmière..." et "Sans contrefaçon, je
suis un garçon", la bisexualité est
quelque chose qui pourrait vous choquer ? C'est
du domaine
de la vie privée, mais non bien sûr, cela ne me
choque pas.
Depuis vos débuts, vous êtes
une icône
gay, avec un très fort public gay, très
fidèle. Comment le vivez-vous ? Je
me
méfie du terme "icône"... Ce sont celles que l'on
brûle en premier! {Silence.} J'ai le sentiment
d'être privilégiée. C'est un public
sensible, pointu et avant-gardiste. Nous nous suivons depuis de
nombreuses années, c'est important pour moi. Je pense aussi
que je partage avec le public gay, comme avec d'autres publics
d'ailleurs, le sentiment d'être "différent",
sensation qui provoque des difficultés de vivre dans ce
monde. Que pensez-vous du mariage et de l'adoption
d'enfants pour les couples
de même sexe ? C'est
un sujet de
société que certains voudraient traiter sous
l'angle moral... Pour moi cela pose la question de
l'égalité des droits. Au 21è
siècle, il serait temps de traiter le sujet! On
parle de vous comme de la "Madonna française", une autre
icône gay. Cela vous flatte, vous amuse ou vous agace ? Non,
cela
m'indiffère, mais la formule est curieuse.
Définir une personne par une autre... Cela montre
que les gens ont besoin de repères, de comparaisons. Cette
logique est absurde. Elle est une grande artiste et elle est unique en
son genre. Pourtant, certains vont plus loin, et
prétendent que vous
copiez son style, son côté sulfureux... Copier ne fait pas
partie de mon vocabulaire. C'est
ennuyeux et ça ne dure pas. En revanche, votre nouveau single, Dégénération,
n'annonce pas un album ennuyeux mais plus up tempo que le
précédent, Avant
que l'ombre. C'est une envie ou une "obligation" par
rapport à la tournée de 2009 ? Comme
Dégénération, mon humeur
aujourd'hui est au mouvement... Il s'agit d'une humeur plus
que d'une envie. Certainement pas une obligation ! Je ne sais pas moi,
mais faut que ça bouge ! {Sourire.} Parlez-nous de ce nouvel album, dont
les titres sont
évocateurs: Je
m'ennuie, Sextonik ou
Si j'avais au moins revu ton visage... Quelles ont
été vos influences pour l'écrire ? Point de Suture est
un rendez-vous important. Les influences ? Je ne sais pas... Je pense
que je subis les influences de la vie, du temps qui passe
inexorablement... Si je reprends les titres que vous citez, ce n'est
après tout qu'un moment de l'existence, on commence par
l'ennui puis vient le temps du Sextonik... Et, dans Si j'avais au moins..,.
on termine par un constat : "Qui
n'a connu douleur immense, n'aura qu'un aperçu du temps." Mais
il y aussi Appelle mon
numéro: tout n'est pas perdu ! Votre album s'intitule Point
de Suture, donc. Avec ce disque, quelle plaie avez-vous
refermée ? Dans
le livret de
cet album, il y a une réplique d' Al Pacino qui incarne
Carlito dans le film L'Impasse.
Avant de mourir, en voix off, il dit: "Tous les point de suture du
monde ne pourront me recoudre." C'est aussi ce que je
ressens. J'ai pour ma part choisi l'ambiguïté.
"Point de
suture", ici au singulier, évoque aussi bien qu'il n'y a
aucune possibilité de suturer les plaies que l'espoir de
guérison. Le visuel de l'album montre des
instruments chirurgicaux. Un peu
osé, voire décalé comme pochette, non ? Il
ne s'agit pas
de la pochette définitive mais d'un détail de la
photo choisie. Ces instruments chirurgicaux prendront toute leur
signification dans le visuel de l'album. Ces photos sont
nées de la découverte de l'univers unique,
vraiment incroyable, d'un photographe japonais. Si c'est osé
ou décalé, c'est en tout cas un univers qui ne
laisse pas indifférent. Même si votre
précédent album Avant que l'ombre...
a bien marché, ce n'est pas un album "à tubes".
Comment l'avez-vous vécu ? Une
carrière n'est pas seulement ce que vous appelez une
succession d'albums à tubes. J'ai la chance de pouvoir
partager avec mon public de nombreuses chansons qu n'ont jamais
été des singles mais qui je pense, ont
touché le cœur des gens. Cela est bien plus
important pour
moi. Le clip de Dégénération
est très réussi et vous montre encore dans un
univers très particulier. Comme dans le clip de Bruno
Aveillan, vous sentez-vous une "espèce de
créature" vivant sur terre pour donner de l'amour ? Bruno Aveillan
est un des réalisateurs les plus doués de sa
génération. C'est aussi une personne de grande
qualité. Je souhaitais depuis longtemps travailler avec lui.
Ce clip est sa vision. Il faudrait lui poser la question directement. Mais si l'on
réfléchit, que pouvons-nous faire
d'autre que de vivre sur terre pour donner de l'amour et en recevoir ? Votre duo avec
Moby, Slipping away
(Crier la vie) fut un beau succès,
néanmoins vous restez toujours fidèle au
compositeur de vos débuts, Laurent Boutonnat. Vous n'auriez
pas envie de confier la composition et la réalisation d'un
album à quelqu'un d'autre? On peut tout
imaginer ! Mais ce n'est pas d'actualité... Il
s'agit de l'album Point
de Suture... Je vis le moment présent. Autant
que faire se peut. Et
pourquoi pas un album 100% Farmer car, peu de gens le savent, mais vous
avez composé un titre sur l'album Anamorphosée
et cinq sur l'album Innamoramento... Voue
êtes têtu ! (Rires.)
C'est vrai, mais je préfère, je crois, partager
ces moments avec quelqu'un, rebondir, apporter une mélodie
de voix sur un couplet ou un refrain... Je pourrais recommencer
l'expérience, mais je n'en ressens pas vraiment la
nécessité. Votre
tournée sera sans nul doute
l'événement 2009, notamment votre passage au
Stade de France. Sera-t-elle une rétrospective de vos
vingt-cinq ans de carrière ou un spectacle axé
sur la nouveauté en laissant un peu de
côté vos anciens tubes... Je ne sais pas
encore quels titres seront choisis...
Mais il me semble assez évident qu'il y aura des titres
issus de tous mes albums. A chaque fois que je pense, par exemple,
à Désenchantée
pendant un spectacle, c'est une émotion inscrite au plus
profond de moi! Le public s'est approprié cette chanson et
me bouleverse quand il commence à chanter, à
vibrer. C'est incroyablement fort, indescriptible... Envisagez-vous
d'inviter des guests
lors de votre tournée ? Nul ne sait ! Les
concerts au Stade de France furent sold out en quelques heures.
Cela vous aide-t-il à ne plus
vous préoccuper de "l'aspect matériel du
spectacle" ou au contraire, ce raz de marrée vous met-il
encore plus la pression ? L'immense bonheur
que le public m'a procuré en se manifestant de cette
manière m'a d'abord fait verser quelques larmes... et s'est
bien vite transformé en une angoisse terrible ! Peur de
décevoir ! J'ai gravé dans mon cœur
l'énergie transmise par seize mille personnes tous les soirs
à Bercy, et je sais le cadeau qui m'est fait pour
le Stade de France, et la tournée... Pourvu que mon
cœur ne
lâche pas ! En
2009, cela fera dix ans que vous n'aurez pas fait de
tournée en province et à l'étranger.
Êtes-vous heureuse, impatiente, de retrouver votre public
"non parisien" ? À Bercy
lors de mon dernier spectacle, le public
n'était pas seulement parisien, il est venu de partout en
France et, parfois, de l'étranger... Mais oui, je suis
heureuse cette fois d'aller vers eux. Vous savez, ce public est unique.
J'en suis consciente ! C'est lui qui me donne l'envie de me
dépasser à chaque fois. Il m'aide à
avancer. Envisagez-vous
de vous produire à nouveau en Russie ou, pour
la première fois, au Japon où vous avez de
nombreux fans ? Les dates des
concerts viennent d'être définitivement
calées pour la Russie, en juillet 2009. J'en suis ravie. Après la
tournée, on annonce votre retour au cinéma.
Où en est le projet de film, adaptation du roman de votre
amie Nathalie Rheims, L'ombre
des autres ? C'est un projet
qui me tient à cœur. Mais je
préfère
rester prudente. Nous ne savons pas encore quand le tournage aura lieu
précisément. C'est en cours
d'écriture. C'est une histoire et un rôle
magnifique ! J'attends. Ce retour au
cinéma est-il un challenge pour vous, au regard de
l'échec commercial de Giorgino
en 1994 ? Si c'est un
échec commercial, il n'en reste pas moins que c'est un film
que j'aime. Quant au "challenge" comme vous dites, j'y vois moi
plutôt le désir de refaire un film. Tout
simplement. Il y a toujours
beaucoup de rumeurs qui vous entourent. Par exemple, on
prétend que vous avez acheté les droits de la
comédie musicale Peau
d'âne. Info ou intox ? C'est une
énorme... ânerie ! {Rires.} Dans
ses mémoires, Michel Polnareff raconte votre projet d'album
en commun. Projet assez vite avorté, selon lui. Pouvez-vous
nous en dire plus ? Non ! {Sourire.} Autre projet,
annoncé depuis plus d'un an, celui de votre
ligne de vêtements et de produits
dérivés, Lonely Lisa. Où en
êtes-vous ? Je suis ravie
d'apprendre qu'il y a une ligne de
vêtements ! Il n'y a jamais eu d'annonce officielle. La
marque
a bien été déposée et une
certaine presse a imaginé le reste. Mais, puisque vous me
posez la question, Lonely Lisa donnera naissance à un site
internet communautaire, dans les prochains mois. Je ne peux en dire
plus pour l'instant. N'en avez-vous
pas assez d'être enfermée dans un
registre de chanteuse mélancolique, gothique, voire
dépressive alors que, dans vos textes vous montrez un
réel sens de l'humour et même du second
degré. Je pense précisément
à des titres comme Je
t'aime mélancolie ou L'Amour n'est rien,
où vous semblez vous moquer de vous-même... Je ne me sens
enfermée dans aucun registre. Je suis faite de tout cela et
de bien d'autres choses. L'humour est ce qui rend la
mélancolie supportable au quotidien. Le second
degré est, me semble-t-il, une hygiène de vie et
rend les choses plus légères...
Peut-être ceux dont vous parlez n'ont pas votre
curiosité ? C'est aussi leur droit après tout. De la
même façon, sur scène, vous
êtes souriante, à l'aise, proche du public.
Cependant, les journalistes, et souvent le grand public, ne retiennent
que les moments d'émotion sur Ainsi soit je... ou
Redonne-moi... Cela me
paraît tout à fait normal. Pourtant, ces moments
d'émotion n'existeraient pas sans tout le reste. De
même que les mots prennent leur dimension grâce au
silence qui les entoure. La scène est une rencontre
privilégiée, un échange unique de plus
de deux heures où toutes les émotions se
bousculent. Vous semblez
sensible à l'enfance. vous avez
chanté une chanson sur la BO des Razmoket à Paris,
doublé la voix de Princesse Sélénia
dans Arthur et les
Minimoys de Besson, et vous signez les paroles de la
chanson générique du dessin animé Creepie. Quel
rapport entretenez-vous avec l'enfance ? J'ai un rapport
amnésique à l'enfance... Je n'ai
aucun souvenir ou si peu. J'ai vraiment pris beaucoup de plaisir
à travailler sur les projets que vous citez. Pouvez-vous nous
parler de l'interprète, Lisa qui chante Drôle de Creepie ?
{Silence.} Elle est d'une
grande sensibilité, se pose déjà des
milliards de questions, a les pieds sur terre malgré son
jeune âge et adore, tout comme moi d'ailleurs, Sigur
Rós. (NDLR:
un groupe de rock islandais.) Que pensez-vous du
téléchargement illégal qui,
succès oblige, vous touche de plein fouet ? Comme 52
artistes
qui ont soutenu le projet de loi contre le
téléchargement illégal, estimez-vous
que "le projet de loi
(...) nous donne de très bonnes cartes pour qu'internet, la
culture et la création soient
réconciliés" ? Je regrette qu'on
en soit arrivé là et je m'interroge sur ce qui me
paraît être un sujet de
société plus profond. La possibilité
de disposer gratuitement et à sa guise de l'oeuvre d'un
autre pour sa satisfaction personnelle, c'est une
dévalorisation du travail des artistes, et que serait une
société sans artistes ? Qui a
intérêt à ce que cela arrive ? C'est
absurde. Pour finir,
imaginons qu'une personne ne connaisse absolument pas votre
oeuvre, par quoi lui diriez-vous de commencer pour vous
connaître un peu ? Par le titre
caché dans ce nouvel album, mais chut... c'est un secret !